Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/222

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de quatorze millions d’habitants dans ces vastes pays soumis à l’autocratrice[1] ; cette dépopulation me paraît étrange, car enfin je ne vois pas que les Russes aient été plus détruits par la guerre que les Français, les Allemands, les Anglais, et je vois que la France seule a environ dix-neuf millions d’habitants. Cette disproportion est étonnante. Un médecin m’a écrit que cette disette de l’espèce humaine devait être attribuée à la vérole, qui y fait plus de ravages qu’ailleurs, et que le scorbut rend incurable. En ce cas, les habitants de la terre sont bien malheureux. Faut-il que la Russie soit dépeuplée parce qu’un Génois s’avisa de découvrir l’Amérique il y a deux cents ans.

J’entends dire d’ailleurs que toutes les grandes idées du czar Pierre sont suivies par le présent gouvernement ; comme parmi ses projets celui de montrer de la bonté aux étrangers était un des principaux, je me flatte, monseigneur, que vous l’imiterez, et que vous pardonnerez toutes ces questions qu’un étranger ose vous adresser. Il y a peu de princes auxquels on demande de pareilles grâces, et vous êtes du très-petit nombre de ceux qui peuvent instruire les autres hommes.

Je suis avec un profond respect, monseigneur, de Votre Altesse le très-humble et très-obéissant serviteur.

Voltaire
À Cirey en Champagne, ce 13 mars 1739.

1105. — À 31. M ***.
Ce 13 mars 1739.

Monsieur, la lettre, ou plutôt l’ouvrage dont vous m’honorez, est peut-être ce que la raison toute seule pouvait produire de mieux. Je suis à peu près comme ces directeurs qui admirent l’esprit et les objections d’un incrédule, et qui prient Dieu de lui donner un peu de foi.

La foi que j’oserais vous demander, c’est pour certains calculs indispensables, pour certaines propositions démontrées ; après quoi nous serons de la même religion, et j’aurai l’honneur de douter avec vous de sept ou huit mille propositions, pourvu que vous m’accordiez seulement une douzaine de vérités fondées sur l’expérience. La première de ces vérités est que le feu et la lumière sont le même être ; et, si vous en doutez, vous n’avez qu’à rassembler de la lumière (c’est-à-dire des rayons lumineux)

  1. L’impératrice Anne Ivanowna.