Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/303

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J’ai cru que je pourrais aller assez vite dans ce que je m’étais proposé d’écrire contre Machiavel ; mais j’ai trouvé que les jeunes gens ont la tête un peu trop chaude. Pour savoir tout ce qu’on a écrit sur Machiavel, il m’a fallu lire une infinité de livres, et, avant que d’avoir tout digéré, il me faudra encore quelque temps. Le voyage que nous allons faire en Prusse ne laissera pas que de causer encore quelque interruption à mes études, et retardera la Henriade, Machiavel, et Euryale.

Je n’ai point encore de réponse d’Angleterre ; mais vous pouvez compter que c’est une chose résolue, et que la Henriade sera gravée. J’espère pouvoir vous donner des nouvelles de cet ouvrage et de l’avant-propos à mon retour de Prusse, qui pourra être vers le 13 d’août.

Un prince oisif est, selon moi, un animal peu utile à l’univers. Je veux du moins servir mon siècle en ce qui dépend de moi ; je veux contribuer à l’immortalité d’un ouvrage qui est utile à l’univers ; je veux multiplier un poëme où l’auteur enseigne le devoir des grands et le devoir des peuples, une manière de régner peu connue des princes, et une façon de penser qui aurait ennobli les dieux d’Homère autant que leurs cruautés et leurs caprices les ont rendus méprisables.

Vous faites un portrait vrai, mais terrible, des guerres de religion, de la méchanceté des prêtres, et des suites funestes du faux zèle. Ce sont des leçons qu’on ne saurait assez répéter aux hommes, que leurs folies passées devraient du moins rendre plus sages dans leur façon de se conduire à l’avenir.

Ce que je médite contre le machiavélisme est proprement une suite de la Henriade. C’est sur les grands sentiments de Henri IV que je forge la foudre qui écrasera César Borgia.

Pour Nisus et Euryale, ils attendront que le temps et vos corrections aient fortifié ma verve.

J’envoie par L. Schilling[1] le vin de Hongrie, sous l’adresse du duc d’Aremberg. Il est sûr que ce duc est le patriarche des bons vivants ; il peut être regardé comme père de la joie et des plaisirs. Silène l’a doué d’une physionomie qui ne dément point son caractère, et qui fait connaître en lui une volupté aimable et décrassée de tout ce que la débauche a d’obscénités.

J’espère que vous respirerez en Brabant un air plus libre qu’en France, et que la sécurité de ce séjour ne contribuera pas moins que les remèdes à la santé de votre corps. Je vous assure qu’il m’intéresse beaucoup, et qu’il ne se passe aucun jour que je ne fasse des vœux, en votre faveur, à la déesse de la santé.

J’espère que tous mes paquets vous seront parvenus. Mandez-m’en, s’il vous plaît, quelques petits mots. On dit que les Plaisirs se sont donné rendez-vous sur votre route ;

Que la Danse et la Comédie,
Avec leur sœur la Mélodie,
Toutes trois firent le dessein
De vous escorter en chemin,

  1. J’envoie par le lieutenant Schilling. (Œuvres posthumes.)