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est à peine sortie. Il est grand partisan de la soleil, et je ne le crois pas trop éloigné des dogmes de Zoroastre, touchant cette planète. Il a trouvé ici des gens avec lesquels il pouvait parler sans contrainte, ce qui m’a fait composer l’Épître[1] ci-jointe, que je vous prie de corriger impitoyablement.

Le jeune Algarotti, que vous connaissez, m’a plu on ne saurait davantage. Il m’a promis de revenir ici aussitôt qu’il lui serait possible. Nous avons bien parlé de vous, de géométrie, de vers, de toutes les sciences, de badineries, enfin de tout ce dont on peut parler. Il a beaucoup de feu, de vivacité et de douceur, ce qui m’accommode on ne saurait mieux. Il a composé une cantate qu’on a mise aussitôt en musique, et dont on a été très-satisfait. Nous nous sommes séparés avec regret, et je crains fort de ne revoir de longtemps dans ces contrées d’aussi aimables personnes.

Nous attendons, cette semaine, le marquis de La Chétardie, duquel il faudra prendre encore un triste congé. Je ne sais ce que c’est que ce M. Valori ; mais j’en ai ouï parler comme d’un homme qui n’avait pas le ton de la bonne compagnie. Monsieur le cardinal aurait bien pu se passer de nous envoyer cet homme et de nous ôter La Chétardie, qui est, en tous sens, un très-aimable garçon.

Soyez sûr qu’ici, a Remusberg, nous nous embarrassons aussi peu de guerre que s’il n’y en avait point dans le monde. Je travaille actuellement à Machiavel, interrompu quelquefois par des importuns dont la race n’est pas éteinte, malgré les coups de foudre que leur lança Molière. Je réfute Machiavel, chapitre par chapitre ; il y en a quelques-uns de faits, mais j’attends qu’ils soient tous achevés pour les corriger. Alors vous serez le premier qui verrez l’ouvrage, et il ne sortira de mes mains qu’après que le feu de votre génie l’aura épuré.

J’attends vos corrections sur la Préface de la Henriade, afin d’y changer ce que vous avez trouvé à propos ; après quoi la Henriade volera sous la presse.

J’ai fait construire une tour au haut de laquelle je placerai un observatoire. L’étage d’en bas devient une grotte ; le second, une salle pour des instruments de physique ; le troisième, une petite imprimerie. Cette tour est attachée à ma bibliothèque par le moyen d’une colonnade au haut de laquelle règne une plate-forme.

Je vous en envoie le dessin pour vous amuser, en attendant que l’on construise l’Hôtel de Ville et les marchés de Paris.

J’attends de vos nouvelles avec beaucoup d’impatience, et je vous prie de me croire de vos amis, autant qu’il est possible de l’être,

Fédéric.

Césarion ne veut pas que je sois son interprète ; il aime mieux vous écrire lui-même.

  1. Èpitre sur la Liberté, adressée à milord Baltimore.