Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/40

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Il y a longtemps que j’ai assemblé quelques matériaux pour faire l’histoire du siècle de Louis XIV. Ce n’est point simplement la vie de ce prince que j’écris, ce ne sont point les annales de son règne, c’est plutôt l’histoire de l’esprit humain, puisée dans le siècle le plus glorieux à l’esprit humain.

Cet ouvrage est divisé en chapitres ; il y en a vingt environ destinés à l’histoire générale : ce sont vingt tableaux des grands événements du temps. Les principaux personnages sont sur le devant de la toile ; la foule est dans l’enfoncement. Malheur aux détails ! la postérité les néglige tous : c’est une vermine qui tue les grands ouvrages. Ce qui caractérise le siècle, ce qui a causé des révolutions, ce qui sera important dans cent années, c’est là ce que je veux écrire aujourd’hui.

Il y a un chapitre pour la vie privée de Louis XIV ; deux pour les grands changements faits dans la police du royaume, dans le commerce, dans les finances ; deux pour le gouvernement ecclésiastique, dans lequel la révocation de l’Édit de Nantes et l’affaire de la Régale sont comprises ; cinq ou six pour l’histoire des arts, à commencer par Descartes et à finir par Rameau.

Je n’ai d’autres mémoires, pour l’histoire générale, qu’environ deux cents volumes de mémoires imprimés que tout le monde connaît ; il ne s’agit que de former un corps bien proportionné de tous ces membres épars, et de peindre avec des couleurs vraies, mais d’un trait, ce que Larrey, Limiers, Lamberti, Roussel, etc., etc., falsifient et délayent dans des volumes.

J’ai pour la vie privée de Louis XIV les Mémoires du marquis de Dangeau, en quarante[1] volumes, dont j’ai extrait quarante pages ; j’ai ce que j’ai entendu dire à de vieux courtisans, valets grands seigneurs, et autres, et je rapporte les faits dans lesquels ils s’accordent. J’abandonne le reste aux faiseurs de conversations et d’anecdotes. J’ai un extrait de la fameuse lettre[2] du roi au sujet de M. de Barbésieux, dont il marque tous les défauts auxquels il pardonne en faveur des services du père : ce qui caractérise Louis XIV bien mieux que les flatteries de Pellisson.

Je suis assez instruit de l’aventure de l’homme au masque de fer[3], mort à la Bastille. J’ai parlé à des gens qui l’ont servi.

Il y a une espèce de mémorial[4], écrit de la main de Louis XIV,

  1. Voyez, tome XXVIII, les Réflexions sur les Mémoires de Dangeau, etc.
  2. Voyez tome XIV, page 492.
  3. Voyez tome XIV, page 427 ; et tome XVII, page 204.
  4. Ce que Voltaire appelle Mémorial est sans doute ce que les éditeurs des Œuvres de Louis XIV, 1806, six volumes in-8o, ont intitulé Mémoires historiques.