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ANNÉE 1740.

soutenait contre l’Europe : car, en bâtissant trois cents citadelles, en faisant marcher quatre cent mille soldats, il faisait élever l’Observatoire, et tracer une méridienne d’un bout du royaume à l’autre, ouvrage unique dans le monde. Il faisait imprimer dans son palais les traductions des bons auteurs grecs et latins ; il envoyait des géomètres et des physiciens au fond de l’Afrique et de l’Amérique chercher de nouvelles connaissances. Songez, milord, que, sans le voyage et les expériences de ceux qu’il envoya à Caïenne, en 1672, et sans les mesures de M. Picard, jamais Newton n’eût fait ses découvertes sur l’attraction. Regardez, je vous prie, un Cassini et un Huygens, qui renoncent tous deux à leur patrie qu’ils honorent, pour venir en France jouir de l’estime et des bienfaits de Louis XIV. Et pensez-vous que les Anglais mêmes ne lui aient pas d’obligation ? Dites-moi, je vous prie, dans quelle cour Charles II puisa tant de politesse et tant de goût. Les bons auteurs de Louis XIV n’ont-ils pas été vos modèles ? N’est-ce pas d’eux que votre sage Addison, l’homme de votre nation qui avait le goût le plus sûr, a tiré souvent ses excellentes critiques ? L’évêque Burnet avoue que ce goût, acquis en France par les courtisans de Charles II, réforma chez vous jusqu’à la chaire, malgré la différence de nos religions ; tant la saine raison a partout d’empire ! Dites-moi si les bons livres de ce temps n’ont pas servi à l’éducation de tous les princes de l’empire. Dans quelles cours de l’Allemagne n’a-t-on pas vu des théâtres français ? Quel prince ne tâchait pas d’imiter Louis XIV ? Quelle nation ne suivait pas alors les modes de la France ?

Vous m’apportez, milord, l’exemple du czar Pierre le Grand, qui a fait naître les arts dans son pays, et qui est le créateur d’une nation nouvelle ; vous me dites cependant que son siècle ne sera pas appelé dans l’Europe le siècle du czar Pierre ; vous en concluez que je ne dois pas appeler le siècle passé le siècle de Louis XIV. Il me semble que la différence est bien palpable. Le czar Pierre s’est instruit chez les autres peuples ; il a porté leurs arts chez lui ; mais Louis XIV a instruit les nations ; tout, jusqu’à ses fautes, leur a été utile. Des protestants, qui ont quitté ses États, ont porté chez vous-mêmes une industrie qui faisait la richesse de la France. Comptez-vous pour rien tant de manufactures de soie et de cristaux ? Ces dernières surtout furent perfectionnées chez vous par nos réfugiés, et nous avons perdu ce que vous avez acquis.

Enfin la langue française, milord, est devenue presque la langue universelle. À qui en est-on redevable ? était-elle aussi