Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/469

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entre le travail et le repas ; on se relève le lendemain avec une digestion laborieuse, on travaille avec la tête moins nette ; on s’efforce, et on tombe malade : au nom du genre humain, à qui vous devenez nécessaire, prenez soin d’une santé si précieuse.

Je demanderai encore une autre grâce à Votre Majesté : c’est, quand elle aura fait quelque nouvel établissement, qu’elle aura fait fleurir quelqu’un des beaux-arts, de daigner m’en instruire, car ce sera m’apprendre les nouvelles obligations que je lui aurai. Il y a un mot dans la lettre de Votre Majesté qui m’a transporté ; elle me fait espérer une vision béatifique cette année. Je ne suis pas le seul qui soupire après ce bonheur. La reine de Saba voudrait prendre des mesures pour voir Salomon dans sa gloire. J’ai fait part à. M. de Keyserlingk d’un petit projet sur cela ; mais j’ai bien peur qu’il n’échoue.

J’espère, dans six ou sept semaines, si les libraires hollandais ne me trompent point, envoyer à Votre Majesté le meilleur livre[1] et le plus utile qu’on ait jamais fait, un livre digne de vous et de votre règne.

Je suis avec la plus tendre reconnaissance, avec profond respect, cela va sans dire, avec des sentiments que je ne peux exprimer, Sire, de Votre Majesté, etc.


1295. — À M. LE MARQUIS D’ARGENSON.
À Bruxelles, le 18 juin.

Si j’avais l’honneur d’être auprès de mon cher monarque, savez-vous bien, monsieur, ce que je ferais ? Je lui montrerais votre lettre, car je crois que ses ministres ne lui donneront jamais de si bons conseils. Mais il n’y a pas d’apparence que je voie, du moins sitôt, mon messie du Nord, Vous vous doutez bien que je ne sais point quitter mes amis pour des rois ; et je l’ai mandé tout net à ce charmant prince, que j’appelle Votre Humanité, au lieu de l’appeler Votre Majesté. À peine est-il monté sur le trône[2] qu’il s’est souvenu de moi pour m’écrire la lettre la plus tendre, et pour m’ordonner, ce sont ses termes, de lui écrire toujours comme à un homme, et jamais comme à un roi.

Savez-vous que tout le monde s’embrasse dans les rues de

  1. l’Anti-Machiavel, de Frédéric lui-même, dont Voltaire fit la Préface. Voyez tome XXIII, page 147.
  2. Le 31 mai 1740.