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1316. — À M. L’ABBÉ MOUSSINOT[1].
Ce 12 (juillet 1740).

Mon cher abbé, je reçois votre lettre du 9, par laquelle vous me mandez la banqueroute générale de ce receveur général nommé Michel ; … il m’emporte donc une assez bonne partie de mon bien. Dominas dédit, Dominus abslulit ; sit nomen Domini benedictum. Je n’ai pas l’honneur d’être trop bon chrétien, mais je suis assez résigné.

Souffrir mes maux en patience
Depuis quarante ans est mon lot,
Et l’on peut, sans être dévot,
Se soumettre à la Providence.

J’avoue que je ne m’attendais pas à cette banqueroute, et que je ne conçois pas comment un receveur général des finances de Sa Majesté très-chrétienne, homme fort riche, a pu tomber si lourdement, à moins qu’il n’ait voulu être encore plus riche. En ce cas, M. Michel a double tort. Je m’écrierais volontiers :

Michel, au nom de l’Éternel,
Mit jadis le diable en déroute ;
Mais après cette banqueroute,
Que le diable emporte Michel.

Mais ce serait une mauvaise plaisanterie, et je ne veux me moquer ni des pertes de M. Michel, ni de la mienne.

Cependant, mon cher abbé, vous verrez que l’événement sera que les enfants de M. Michel resteront fort riches, fort bien établis. Le conseiller au grand conseil me jugera, si j’ai un procès devant l’auguste tribunal dont on est membre à beaux deniers comptants. Son frère, l’intendant des menus-plaisirs du roi, empêchera, s’il veut, qu’on ne joue mes pièces à Versailles ; et moi, moitié philosophe et moitié poète, j’en serai pour mon argent : je ne jugerai personne, et n’aurai point de charge à la cour.

Vous savez qu’abyssus abyssum invocat ; il faut absolument que M. de Brissac donne quelques petites sûretés : je vous supplie de faire sur cela toutes les diligences nécessaires.

Ayez la bonté de faire écrire monsieur votre frère à tous

  1. Édition Courtat.