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samment à Bruxelles ; mais vous, pourquoi aller en Suisse ? Quoi ! il a un roi de Prusse dans le monde ! Ouoi ! le plus aimable des hommes est sur le trône ! Les Algarotti, les Wolff, les Maupertuis, tous les arts y courent en foule, et vous iriez en Suisse ! Non, non, croyez-moi ; établissez-vous à Berlin ; la raison, l’esprit, la vertu, y vont renaître. C’est la patrie de quiconque pense ; c’est une belle ville, un climat sain ; il y a une bibliothèque publique que le plus sage des rois va rendre digne de lui. Où trouverez-vous ailleurs les mêmes secours en tout genre ? Savez-vous bien que tout le monde s’empresse à aller vivre sous le Marc-Aurèle du Nord ? J’ai vu aujourd’hui un gentilhomme de cinquante mille livres de rente qui m’a dit : Je n’aurai point d’autre patrie que Berlin, je renonce à la mienne, je vais m’établir[1] là, il n’y aura pas d’autre roi pour moi. Je connais un très-grand seigneur de l’empire qui veut quitter Sa sacrée Majesté pour l’Humanité du roi de Prusse. Mon cher ami, allez dans ce temple qu’il élève aux arts. Hélas ! je ne pourrai vous y suivre, un devoir sacré m’entraîne ailleurs. Je ne peux quitter Mme  du Châtelet, à qui j’ai voué ma vie, pour aucun prince, pas même pour celui-là ; mais je serai consolé si vous vous faites une vie douce dans le seul pays où je voudrais être si je n’étais pas auprès d’elle. Paupie m’a appris vos arrangements. Je vous en fais les plus tendres compliments ; que ne puis-je avoir l’honneur de vous embrasser ! Adieu, mon cher Isaac ; vis content et heureux.

Si vous avez quelque chose à m’apprendre de votre destinée, écrivez à Bruxelles.

Adieu, mon aimable et charmant ami.


1351. — DE FRÉDÉRIC II. ROI DE PRUSSE.
Remusberg, octobre.

Je suis honteux de vous devoir trois lettres, mais je le suis bien plus encore d’avoir toujours la fièvre. En vérité, mon cher Voltaire, nous sommes une pauvre espèce : un rien nous dérange et nous abat.

J’ai profité de vos avis touchant M. de Liège[2], et vous verrez que mes droits seront imprimés dans les gazettes. Cependant l’affaire se termine, et je crois que, dans quinze jours, mes troupes pourront évacuer le comté de Horn[3].

  1. Voyez plus haut la fin de la lettre 1326.
  2. C’est-à-dire l’évêque de Liège.
  3. Voyez la lettre n° 1366.