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1360. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Octobre.

Sire, Votre Humanité ne recevra point, cette poste, de mes paquets énormes. Un petit accident d’ivrogne arrivé dans l’imprimerie a retardé l’achèvement de l’ouvrage que je fais faire. Ce sera pour le premier ordinaire ; cependant ce fripon de Van Duren débite sa marchandise, et en a déjà trop vendu.

Parmi ce tribut légitime
D’amour, de respect, et d’estime,
Que vous donne le genre humain,
Le très-fade cousin germain[1]
Du très-prolixe Télémaque,
Très-dévotement vous attaque,
Et prétend vous miner sous main.
Ce bon papiste vous condamne,
Et vous et le Machiavel,
À rôtir avec Uriel,
Ainsi que tout auteur profane.
Il sera damné comme un chien,
Dit-il, cet auteur qu’on renomme ;
Ce n’est qu’un sage, un honnête homme,
Je veux un fripon bon chrétien,
Et qui soit serviteur de Rome.
Ainsi parle ce bon bigot,
Pilier boiteux de son église ;
Comme ignorant je le méprise,
Mais je le crains comme dévot.

Lui et le jésuite La Ville[2], qui lui sert de secrétaire, commencent pourtant à raccourcir la prolixité de leurs phrases insolentes en faveur du rélat[3] liégeois. Ils parlaient sur cela avec

  1. Le marquis de Fénelon, alors ambassadeur eu Hollande. Il était fort dévot, d’ailleurs assez aimable et bon officier. Voyez l’Éloge funèbre des officiers morts dans la guerre de 1741, tome XXIII, page 255.
  2. Depuis premier commis des affaires étrangères. Il quitta les jésuites, tandis que Lavaur, secrétaire du marquis de Fénelon, lui cédait sa place pour prendre l’habit de saint Ignace. C’est ce même Lavaur qui a joué depuis un rôle si singulier dans l’affaire du comte de Lally. (K.) — Jean Ignace de La Ville, né vers 1690, mort le 15 avril 1774, après avoir été secrétaire du marquis de Fénelon, devint, en 1743, ministre de France auprès des États-Généraux ; il avait été reçu à l’Académie française en septembre 1746. Voltaire parle de Lavaur dans le chapitre xxxiv du Précis du Siècle de Louis XV, voyez tome XV ; et dans les articles 13, 15, 17, 18 de ses Fragments historiques sur l’Inde, voyez tome XXIX.
  3. Georges-Louis de Berghes, mort très-âgé, le 4 décembre 1743.