Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/548

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

1370. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
À la Haye, le 25 octobre[1].

Ombre aimable, charmant espoir,
Des plaisirs image légère,
Quoi ! vous me flattez de revoir
Ce roi qui sait régner et plaire !

Nous lisons dans certain auteur
(Cet auteur est, je crois, la Bible)
Que Moïse, le voyageur,
Vit Jéhovah, quoique invisible.

Certain verset[2] dit hardiment
Qu’il vit sa face de lumière ;
Un autre nous dit bonnement
Qu’il ne parla qu’à son derrière[3].

On dit que la Bible souvent
Se contredit de la manière ;
Mais qu’importe, dans ce mystère.
Ou le derrière, ou le devant ?

Il vit son dieu, c’est chose claire ;
Il reçut ses commandements ;
Les vôtres seront plus charmants.
Et votre présence plus chère.

Je pourrai dire quelque jour :
J’ai vu deux fois ce prince aimable,
Né pour la guerre et pour l’amour,
Et pour l’étude et pour la table.

Il sait tout, hors être en repos ;
Il sait agir, parler, écrire ;
Il tient le sceptre de Minos,
Et des Muses il tient la lyre.

Mais, dieux ! aujourd’hui qu’il s’écarte
De la droite raison qu’il a !

  1. Réponse à la lettre 1355.
  2. Loquebatur autem Dominus ad Moysen facie ad faciem, (Exode, xxxiii, 11.
  3. Videbis posteriora mea ; faciem autem meam videre non poteris. (Ibid., verset 23.)