Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/62

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avisé de créer un univers, comme Descartes : il se contentait de l’examiner. Il n’y avait pas là de quoi en imposer au vulgaire, grand et petit. Descartes fut un heureux charlatan ; mais Galilée était un grand philosophe.

Que je suis bien de votre avis, monsieur, sur Gassendi ! Il relâche, comme vous dites énergiquement, la force de toutes ses raisons ; mais un plus grand malheur encore, c’est que les raisons lui manquent. Il a deviné bien des choses qu’on a prouvées après lui.

Ce n’est pas assez, par exemple, de combattre le plein par des arguments plausibles ; il fallait qu’un Newton, en examinant le cours des comètes, démontrât de quelle quantité elles vont nécessairement plus vite à la hauteur de nos planètes, et que, par conséquent, elles ne peuvent être portées par un prétendu tourbillon de matière, qui ne peut aller à la fois lentement avec une planète, et rapidement avec une comète, dans la même couche. Il a fallu que M. Bradley découvrît la progression de la lumière, et démontrât qu’elle n’est point retardée dans son chemin d’une étoile à nous, et que, par conséquent, il n’y a point là de matière. Voilà ce qui s’appelle être physicien, Gassendi est un homme qui vous dit en gros qu’il y a quelque part une mine d’or, et les autres vous apportent cet or, qu’ils ont fouillé, épuré, et travaillé.

Ce ne sera donc point, monsieur, sur la physique que je serai entièrement pyrrhonien : car comment douter de ce que l’expérience découvre, et de ce que la géométrie confirme ? Parce que Anaxagore, Leucippe, Aristote, et tous les Grecs babillards, ont dit longuement des absurdités, cela empêche-t-il que Galilée, Cassini, Huygens, n’aient découvert de nouveaux cieux ? La théorie des forces mouvantes en sera-t-elle moins vraie ? Nous avons la longitude et la latitude de deux mille étoiles dont les anciens ne supposaient pas seulement l’existence, et nous avons découvert plus de vérités physiques sur la terre que Flamstead ne compte d’étoiles dans son catalogue.

Tout cela est peu de chose pour l’immensité de la nature, j’en conviens ; mais c’est beaucoup pour la faiblesse de l’homme. Le peu que nous savons étend réellement les forces de l’âme ; l’esprit y trouve autant de plaisirs que le corps en éprouve dans d’autres jouissances qui ne sont pas à mépriser.

Je m’en rapporte à vous sur tout cela. Si le don de penser rend heureux, je vous tiens, monsieur, pour le plus fortuné des hommes. Vous savez jouir, vous savez douter, vous savez affirmer quaud il le faut.