Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/82

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vous m’avez dissipé vingt-quatre mille livres d’argent[1], il y a eu seulement du malheur, et non de mauvaise volonté. Je vous pardonne donc de tout mon cœur, et sans qu’il me reste la moindre amertume dans le cœur.

Tout mon regret est de me voir moins en état d’assister les gens de lettres comme je faisais. Je n’ai plus d’argent ; et, quand il a fallu, en dernier lieu, faire de petits plaisirs à M. Linant et à M. Lamare, j’ai été obligé de faire avancer les deniers par le sieur Prault jeune, libraire fort au-dessus de sa profession.

Je me flatte que M. Linant aura enfin heureusement fini cette tragédie dont je lui ai donné le plan il y a si longtemps[2]. Je lui souhaite un succès qui lui donne un peu de fortune et beaucoup de gloire. Ce serait avec bien du plaisir que je lui écrirais ; mais vous savez que de malheureuses plaintes domestiques et une juste indignation de Mme la marquise du Châtelet contre sa sœur me lient les mains. J’ai donné ma parole d’honneur de ne point lui écrire, je la tiens ; mais je ne l’ai point donnée de ne le point secourir, et je le secours. Passez donc chez M. Prault fils, et priez-le de donner encore cinquante livres à M. Linant. Surtout que M. Linant donne sa tragédie à imprimer à M. Prault : c’est une justice que ce libraire aimable mérite. Faites le marché vous-même ; quand je dis vous, je dis votre mari ; cela est égal.

Vous devriez engager M. Linant à écrire, sans griffonner, une lettre respectueuse, pleine d’onction et d’attachement, à M. le marquis du Châtelet, et autant à madame. Ce devoir, bien rempli, pourrait opérer une réconciliation peut-être nécessaire à la fortune de M. Linant.

Je voudrais qu’il pût dédier sa pièce à Mme la marquise du Châtelet, Je me ferais fort de l’en faire récompenser. L’aimable Prault a encore donné cent vingt livres pour moi au sieur Lamare, Je n’ai point de nouvelles de ce petit hanneton ; il est allé sucer quelques fleurs à Versailles.

  1. « Je soussigné reconnais que M, de Voltaire ayant prêté à ma femme et à moi la somme de vingt-sept mille livres, et, vu le mauvais état de nos affaires, ayant bien voulu se restreindre à la somme de trois mille livres, par contrat obligatoire passé entre nous, chez Ballot, notaire, le 12 de juin 1730, il nous a remis et accordé sept cent cinquante livres, restant des trois mille livres à payer, et m’en a donné une rétrocession pleine et entière.

    « Ce 19 de janvier 1743.

    « Demoulin »
  2. Ramessès.