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paresseux de nouvelle date, qui se tourmentent à dire qu’ils ne font rien. Je suis d’une espèce toute contraire. J’ai tant travaillé que j’en ai presque renoncé au commerce des humains ; mais le vôtre m’est toujours bien précieux, et c’est un bel intermède, dans mes occupations, que la lecture de vos lettres.

Le roi de Prusse me mande qu’il prend La Noue[1] et Duré[2]. S’il enlève aussi Gresset, nous n’aurons guère plus de danseurs, d’acteurs, ni de poëtes. Nous acquérons de la gloire en Allemagne[3], et les talents périssent à Paris.

Je vous embrasse, et suis pour toujours plein d’attachement pour vous.


1482. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL,
À paris.
À Cirey, ce 25 décembre.

Je ne rends pas à mes chers anges gardiens un compte bien exact de ma conduite : je leur écris peu, et, en cela, je pèche grièvement : mais ne lisent-ils pas dans mon coeur ? ne savent-ils pas qu’on est occupé d’eux à Cirey, et qu’on les regrette partout ? On a encore donné quelques coups de lime à leur Mahomet ; mais voici une triste nouvelle pour la Comédie et pour l’Opéra. Le roi de Prusse n’est pas content d’avoir pris la Silésie. Il me mande qu’il prend Dupré et La Noue. Le héros tragique n’est pas si bien fait que le héros dansant, et c’est faire venir un singe de loin ; mais ce singe-là joue très-bien, et je ne connais guère que lui qui pût mettre dans notre Mahomet et la force et la terreur convenables. Ce qui me rassure un peu, c’est que La Noue aime fort Mlle  Gautier, et que sûrement on ne peut quitter ce qu’on aime pour le roi de Prusse. La place de premier acteur à Paris vaut bien d’ailleurs une pension à Berlin, et notre parterre vaut un peu mieux qu’un parterre de Prussiens. Mandez-moi, je vous en prie, combien de temps l’ambassadeur turc sera à Paris, et ce qu’on fait à la Comédie. Mme  du Châtelet va passer un jour à Commercy nous irons ensuite à Grai, et de là nous reviendrons vous voir, mes très-chers anges, à qui je souhaite la santé et tous les plaisirs de ce monde.

Me mettant toujours à l’ombre de vos ailes.

  1. Voyez une note sur la lettre 1127.
  2. Célèbre danseur qui devint, en 1747, maitre des ballets à l’Opéra.
  3. Voyez, tome XV, le chapitre vi du Précis du Siècle de Louis XV.