Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/123

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voir souper avec eux. Si elle pouvait se dégager elle le ferait. Ah, chevreuil ! ah, perdrix ! ce n’est que dans cette compagnie-là que je pourrais vous digérer.


1497. — À M. DE CIDEVILLE.
Ce samedi.

Mon cher ami, je mène une vie désordonnée, soupant quand je devrais me coucher, me couchant pour ne point dormir, me levant pour courir, ne travaillant pas, ne voyant point mon cher Cideville, privé du plaisir solide, entouré de plaisirs imaginaires ; et, sur ce, je sors pour aller tracasser ma vie jusqu’à deux heures après minuit. Je suis bien las de ma conduite. Bonjour, mon aimable ami ; plaignez-moi de vivre comme les autres. Vale. V.


1498. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Selowitz, le 23 mars.

Mon cher Voltaire, je crains de vous écrire, car je n’ai d’autres nouvelles à vous mander que d’une espèce dont vous ne vous souciez guère, ou que vous abhorrez.

Si je vous disais, par exemple, que des peuples de deux différentes contrées de l’Allemagne sont sortis du fond de leurs habitations pour se couper la gorge avec d’autres peuples dont ils ignoraient jusqu’au nom même, et qu’ils ont été chercher dans un pays fort éloigné ; pourquoi ? parce que leur maitre a fait un contrat avec un autre prince, et qu’ils voulaient, joints ensemble, en égorger un troisième ; vous me répondriez que ces gens sont fous, sots et furieux, de se prêter ainsi aux caprices et à la barbarie de leurs maitres. Si je vous disais que nous nous préparons avec grand soin à détruire quelques murailles élevées à grands frais ; que nous faisons la moisson où nous n’avons point semé, et les maîtres où personne n’est assez fort pour nous résister ; vous vous écrieriez : Ah, barbares ! ah, brigands ! inhumains que vous êtes, les injustes n’hériteront point du royaume des cieux, selon saint Matthieu, chapitre xii, vers. 24[1].

Puisque je prévois tout ce que vous me diriez sur ces matières, je ne vous en parlerai point. Je me contenterai de vous informer qu’une tête assez folle, dont vous aurez entendu parler, sous le nom de roi de Prusse, apprenant que les États de son allié l’empereur étaient ruinés par la reine de Hongrie, a volé à son secours ; qu’il a joint ses troupes à celles du roi de Pologne, pour opérer une diversion en basse Autriche ; et qu’il a si bien

  1. Ce n’est pas saint Matthieu, c’est saint Paul, qui, dans sa première aux Corinthiens, chap. vi, verset 9, dit Iniqui regnum Dei non possidebunt.