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dans l’espoir de vivre en France ; un homme qui ne connaît que l’amitié, la société, et le repos. Il veut vous devoir ce repos, madame ; la France lui est plus chère, depuis qu’il a eu l’honneur de vous faire un moment sa cour, et ses sentiments méritent votre protection. J’ai l’honneur.

Voltaire.

1518. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Juillet.

Ô le plus extraordinaire de tous les hommes qui gagnez des batailles, qui prenez des provinces, qui faites la paix, qui faites de la musique et des vers, le tout si vite et si gaiement !

C’est à vous de chanter sur la lyre d’Achille,
Vous de qui la valeur imita ses exploits ;
C’est à moi de me taire, et ma muse stérile
Ne peut accompagner votre héroïque voix.
Vous, roi des beaux esprits, vous, bel esprit des rois,
Vous dont le bras terrible a fait trembler la terre ;
Rassurez-la par vos bienfaits,
Et faites retentir les accents de la paix
Après les éclats du tonnerre.
Ainsi ce roi-berger[1], et poëte, et soldat,
Moins poëte que vous, moins guerrier, moins aimable,
Par les soins de sa lyre, en sortant du combat,
Adoucit de Saül la rigueur intraitable.
Adoucissez vingt rois par des sons plus touchants ;
Que la barbare Até, que la Haine cruelle,
Que la Discorde et ses enfants,
Enchaînés à jamais par vos bras triomphants,
Entendent vos aimables chants !
Qu’ils sentent expirer leur fureur mutuelle ;
Que l’Horreur vous écoute, et se change en douceur ;
Que le Ciel applaudisse, et que la Terre, unie
Aux concerts de votre harmonie,
Dise Je lui dois mon bonheur.

J’ai toujours espéré cette paix universelle, comme si j’étais un bâtard de l’abbé de Saint-Pierre. Le faire pour soi tout seul serait d’un roi qui n’aime que son trône et ses États ; et cette façon de penser n’est pas selon nous autres philosophes, qui tenons qu’il faut aimer le genre humain. L’abbé de Saint-Pierre

  1. David. Voyez les Rois, liv. I, ch. xvi.