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à son vainqueur quatre millions sept cent mille écus d’Allemagne, toutes charges faites ! Je vous embrasse de tout mon cœur.


1538. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
À Remusberg, le 13 octobre.

J’étais justement occupé à la lecture de cette histoire[1] réfléchie, impartiale, dépouillée de tous les détails inutiles, lorsque je reçus votre lettre. La première espérance que je conçus fut de recevoir la suite des cahiers. Le peu que j’en ai me fait naître le désir d’en avoir davantage. Il n’y a point d’ouvrage chez les anciens qui soit aussi capable que le vôtre de donner des idées justes, de former le goût, d’adoucir et de polir les mœurs. Il sera l’ornement de notre siècle, et un monument qui attestera à la postérité la supériorité du génie des modernes sur les anciens. Cicéron[2] disait qu’il ne concevait pas comment les augures faisaient pour s’empêcher de rire quand ils se regardaient ; vous faites plus, vous mettez au grand jour les ridicules et les fureurs du clergé.

Le siècle où nous vivons fournit des exemples d’ambition, des exemples de courage, etc. mais j’ose dire, à son honneur, qu’on n’y voit aucune de ces actions barbares et cruelles qu’on reproche aux précédents ; moins de fourberies, moins de fanatisme, plus d’humanité et de politesse. Après la guerre de Pharsale, il n’y eut jamais de plus grands intérêts discutés que dans la guerre présente : il s’agit de la prééminence des deux plus puissantes maisons de l’Europe chrétienne ; il s’agit de la ruine de l’une ou de l’autre ; ce sont de ces coups de théâtre qui méritent d’être rapportés par votre plume, et de trouver place à la suite[3] de l’histoire que vous vous proposez d’écrire.


Je regrette ces maux dont le monde est couvert,
Ces nœuds que la Discorde a su l’art de dissoudre :
Les aigles prussiens ont suspendu leur foudre
Au temple de Janus, que mes mains ont ouvert.
N’insultez point, ami, l’intrépide courage
Que mes vaillants soldats opposent à l’orage ;
L’intérêt n’agit point sur mes nobles guerriers :
Ils ne demandent rien, leur amour est la gloire,
Le prix de leurs travaux n’est que dans la victoire.
Le repos leur est dû, et c’est sous leurs lauriers
Que les Arts, les Plaisirs, vont élever leur temple,
Que le Germain surpris avec ardeur contemple.

  1. Essai sur les Mœurs et l’Esprit des nations.
  2. De Divinatione, II, 24.
  3. Avec l’Essai sur les Mœurs, suivi du Siècle de Louis XIV et de ce qu’il avait déjà composé sur le règne de Louis XV, Voltaire forma plus tard un corps d’histoire qui parut, vers la fin de 1756, sous le titre d’Essai sur l’Histoire générale. (Cl.)