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lents dans leurs opérations. Pour ce qui regarde vos créanciers[1], je vous prie de leur dire que j’ai beaucoup d’argent à liquider avec les Hollandais, et qu’il n’est pas encore clair qui de nous deux restera le débiteur.

Si Paris est l’île de Cythère, vous êtes assurément le satellite de Vénus : vous circulez à l’entour de cette planète, et suivez le cours que cet astre décrit de Paris à Bruxelles et de Bruxelles à Cirey. Berlin n’a rien qui puisse vous y attirer, à moins que nos astronomes de l’Académie ne vous y incitent avec leurs longues lunettes. Nos peuples du Nord ne sont pas aussi mous que les peuples d’Occident ; les hommes, chez nous, sont moins efféminés, et, par conséquent, plus mâles, plus capables de travail, de patience, et peut-être moins gentils, à la vérité. Et c’est justement cette vie de sybarites que l’on mène à Paris, dont vous faites tant d’eloge, qui a perdu la réputation de vos troupes et de vos généraux.


Surtout, en écoutant ces tristes aventures,
Pardonnez, cher Voltaire, à des vérités dures
Qu’un autre aurait pu taire ou saurait mieux voiler,
Mais que ma bouche enfin ne peut dissimuler[2].

Adieu, cher Voltaire, écrivez-moi souvent, et, surtout, envoyez-moi vos ouvrages et la Pucelle. J’ai tant d’affaires que ma lettre se sent un peu du style laconique. Elle vous ennuiera moins, si je n’en ai pas déjà trop dit.

Fédéric.

1553. — À M. LE MARQUIS D’ARGENSON[3].
11 décembre.

Le pauvre malade, monsieur, vous renvoie deux illustres coquins nommés Gengis et Tamerlan vulgairement. Ce sont des prédécesseurs de Rafiat. Permettez-moi de garder encore quelque temps les Contes arabes et tartares, sous le nom de la bibliothèque orientale de M. d’Herbelot. Ayez encore pitié de moi. J’aurais besoin d’un Chardin, d’un Bernier, d’un Tavernier, de l’histoire de Hongrie, et de l’histoire de Naples, et de celle de l’Inquisition. Si vous avez toutes ces richesses, faites-moi l’aumône, et je tâcherai d’extraire un peu d’or de toutes ces mines-là.

Mille tendres respects au père et au fils.

  1. Quelques marchands de tableaux de la Flandre en avaient sans doute vendu à Frédéric, par l’entremise de Voltaire, et le philosophe avait probablement aussi glissé un mot de leur payement, dans sa correspondanceavec le prince. (Cl.)
  2. Ces quatre vers sont la parodie de ceux qui, dans les éditions de la Henriade,
    antérieures à 1740, terminaient le second chant de ce poëme.
  3. Éditeurs, de Cayrol et François. — Une lettre de Voltaire au marquis d’Argenson, du 7 décembre 1742, a été signalée dans un catalogue d’autographes avec cette indication « Voltaire lui demande s’il possède la bibliothèque orientale et les histoires de Gengis-kan et de Tamerlan. »