Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/253

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Ces succès se bornèrent à des promesses vagues du margrave d’Anspach de s’unir aux autres princes en faveur de l’empereur, quand Sa Majesté prussienne donnerait l’exemple. L’évêque de Wurtzbourg ne se trouva point à Anspach, et même n’envoya pas s’excuser. Le roi de Prusse alla voir l’armée de l’empereur, et n’entama rien d’essentiel avec le général Seckendorf.

Tandis qu’il faisait cette tournée, le margrave me parla beaucoup des affaires présentes. Il venait d’être déclaré feld-maréchal du cercle de Franconie. C’est un jeune prince plein de bonté et de courage, qui aime les Français et qui hait la maison d’Autriche. Il voyait assez que le roi de Prusse n’était point dans l’intention de rien risquer et d’envoyer une armée de neutralité vers la Bavière. Je pris la liberté de dire au margrave, en substance, que, s’il pouvait disposer de quelques troupes en Franconie, les joindre aux débris de l’armée impériale, obtenir du roi, son beau-frère, seulement dix mille hommes, je prévoyais, en ce cas, que la France pourrait lui donner en subside de quoi en lever encore dix mille, cet hiver, en Franconie, et que toute cette armée, sous le nom d’armée des cercles, pourrait arborer l’étendard de la liberté germanique, auquel d’autres princes auraient alors le courage de se rallier et que le roi de Prusse engagé pourrait encore aller plus loin.

Le margrave et son ministre approuvent ce projet, et l’approuvent avec chaleur, d’autant plus qu’il peut mettre ce prince en état de faire valoir plus d’une prétention dans l’empire. Mais il fallait gagner l’évêque de Wurtzbourg et de Bamberg, de qui la tête est, dit-on, très-affaiblie et le ministre du margrave me dit que, moyennant trente à quarante mille écus, on pourrait déterminer les ministres de cet évêque.

Le roi de Prusse, à son retour à Baireuth, ne parla pas de la moindre affaire à son beau-frère, et l’étonna beaucoup. Il l’étonna encore plus en paraissant vouloir retenir de force à Berlin le duc de Wurtemberg[1], sous prétexte que Mme  la duchesse[2] de Wurtemberg, sa mère, voulait faire élever son fils à Vienne.

Irriter ainsi le duc de Wurtemberg, et désespérer sa mère, n’était pas le moyen d’acquérir du crédit dans le cercle de

  1. Charles-Eugène, douzième duc de Wurtemberg, né en 1728 ; fils de Marie-Auguste de La Tour et Taxis. Il commença à régner en mars 1737, et il fut déclaré majeur au commencement de 1744. Il est question de ce prince et de son frère Louis-Eugène, dans une lettre du 25 octobre 1748, à d’Arnaud. Voltaire fut, plus tard, en relations suivies avec l’un et l’autre.
  2. Marie-Auguste de La Tour et Taxis, veuve en 1737, morte en 1756.