Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/265

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Pour aller par ordre, je dirai d’abord que le roi de Prusse m’écrivit quelquefois de Potsdam à Berlin, et même de petits billets de son appartement à ma chambre, dans lesquels il paraissait évidemment qu’on lui avait donné de très-sinistres impressions qui s’effaçaient tous les jours peu à peu. J’en ai entre autres un, du 7 septembre[1], qui commence ainsi : « Vous me dites tant de bien de la France et de son roi qu’il serait à souhaiter, etc., et qu’un roi digne de cette nation, qui la gouverne sagement, peut lui rendre aisément son ancienne splendeur… Personne de tous les souverains de l’Europe ne sera moins jaloux que moi de ses succès. »

J’ai conservé cette lettre, et lui en ai rendu plusieurs autres qui étaient écrites à deux marges[2], l’une de sa main, l’autre de la mienne. Il me parut toujours jusque-là revenir de ses préjugés ; mais, lorsqu’il fut prêt de partir pour la Franconie, on lui manda de plus d’un endroit que j’étais envoyé pour épier sa conduite. Il me parut alors altéré, et peut-être écrivit-il à M. Chambrier[3] quelque chose de ses soupçons. D’autres personnes charitables écrivirent à M. de Valori que j’étais chargé, à son préjudice, d’une négociation secrète, et je me vis exposé tout d’un coup de tous les côtés. Je fus assez heureux pour dissiper tous ces nuages. Je dis au roi qu’à mon départ de Paris vous aviez bien voulu seulement me recommander, en général, de cultiver par mes discours, autant qu’il serait en moi, les sentiments de l’estime réciproque, et l’intelligence qui subsiste entre les deux monarques. Je dis à M. de Valori que je ne serais que son secrétaire, et que je ne profiterais des bontés dont le roi de Prusse m’honore que pour faire valoir ce ministre : c’est en effet à quoi je travaillai. L’un et l’autre me parurent satisfaits, et Sa Majesté prussienne me mena en Franconie avec des distinctions flatteuses.

Immédiatement avant ce voyage, le ministre de l’empereur à Berlin m’avait parlé de la triste situation de son maître. Je lui conseillai d’engager Sa Majesté impériale à écrire de sa main une lettre touchante au roi de Prusse. Ce ministre détermina l’empereur à cette démarche, et l’empereur envoya la lettre par M. de Seckendorf. Vous savez que le roi de Prusse m’a dit, depuis, qu’il y avait fait une réponse dont l’empereur doit être très-satisfait.

  1. C’est la lettre 1609, dont Voltaire ne donne ici qu’un léger extrait, en ayant soin d’en retrancher les mots ironiques grand homme, qui sont dans le sixième alinéa.
  2. Comme la lettre 1610.
  3. Envoyé de Prusse à Paris.