Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/270

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un homme tel que vous ; mais j’espère que vous aurez quelque indulgence pour les défauts du style, qui ne vous convaincra que trop que je ne suis point déesse, mais un être des plus matériels. Je ne veux pas vous priver plus longtemps de ce qui vous sera le plus agréable : ce sont les marques de bonté de la reine ma mère, qui m’ordonne de vous assurer de son estime. Elle vous enverra la boite et les portraits ; et vous les auriez dejà reçus si le peintre avait été plus diligent.

Ma sœur[1] implore le secours d’Euterpe pour animer les enfants de Terpsichore. La composition de la musique des ballets est à présent son occupation. Comme vous êtes le favori des neuf Sœurs, je vous prie d’intercéder en sa faveur, pour la réussite de son ouvrage. Par reconnaissance, je ferai des vœux pour l’accomplissement de votre bonheur, que vous faites consister à finir vos jours ici. J’y trouverai mon compte, ayant alors plus souvent le plaisir de vous assurer de l’estime et de la considération avec laquelle je suis votre affectionnée

Ulrique.

1628. — À MADAME DE CHAMPBONIN.

Ma chère amie, mon corps a voyagé, mon cœur est toujours resté auprès de Mme du Châtelet et de vous. Des conjonctures qu’on ne pouvait prévoir m’ont entraîné à Berlin malgré moi. Mais rien de ce qui peut flatter l’amour-propre, l’intérêt et l’ambition, ne m’a jamais tenté. Mme du Châtelet, Cirey, et le Champbonin, voilà mes rois et ma cour, surtout lorsque gros chat viendra serrer les nœuds d’une amitié qui ne finira qu’avec ma vie. Être libre et être aimé, c’est ce que les rois de la terre n’ont point. Je suis bien sûr que gros chat m’a rendu justice. Mon cœur lui a toujours été ouvert. Elle savait bien qu’il préférait ses amis aux rois. J’ai essuyé un voyage bien pénible ; mais le retour a été le comble du bonheur. Je n’ai jamais retrouvé votre amie si aimable, ni si au-dessus du roi de Prusse. Nous comptons bien vous revoir cet été, gros chat ; je vous tiendrai des heures entières dans ma galerie, et Mme du Châtelet le trouvera bon, s’il lui plaît. M. le marquis du Châtelet va à Paris, et de là à Cirey ; Mme du Châtelet et moi l’accompagnons jusqu’à Lille, où est ma nièce, cette nièce qui devait être votre fille[2]. Adieu, gros chat.

  1. Anne-Amélie, née le 9 novembre 1723, morte le 30 mars 1787, quelques mois après Frédéric II, qui avait pour elle une affection particulière. Les madrigaux imprimés dans les Poésies mêlées, tome X, sont des hommages rendus à sa beauté. La princesse Amélie, qui fut abbesse de Quedlinbourg vers 1762, avait un talent très-distingué en musique, sous le rapport de la composition.
  2. Mlle Mignot l’ainée, que Voltaire avait voulu marier, en 1137, au fils de Mme de Champbonin, et qui, en 1738, avait épousé M. Denis.