Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/299

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monsieur ; les temps sont affreux, puisque personne n’est sensible au talents. Vous seul les connaissez tous, vous les protégez ; et si vous pensez que je puisse faire quelque chose, vous ne m’abandonnerez certainement pas. Ma fortune dépend donc du jugement que vous porterez de moi. J’attends votre décision avec confiance. Je demeure rue de la Comédie-Française, chez M. Dubois, au Palais-Royal. En attendant que vous me mettiez en état de gagner l’ile, je compte que vous m’honorerez d’une réponse.

Je suis avec le plus tendre respect, monsieur, votre très-humble, etc.

Mannory.

1654. — À M. LE DUC DE RICHELIEU.
À Cirey, par Bar-sur-Aube, ce 28 mai.

Vous, qui valez mieux mille fois
Que cet aimable duc de Foix,
Recevez d’un œil favorable
Ce croquis et ce rogaton ;
Il faudrait vous le lire à table,
Dans votre petite maison,
Où Miars et la Galanterie
Ont fait une tapisserie
De lauriers et de…

Vous avez dû recevoir, monseigneur de Foix, les trois informes esquisses du premier et du second acte[1]. Lisez, si vous avez du loisir, ce troisième acte, et songez, je vous en supplie, qu’il m’est impossible de mettre en deux mois la dernière main à un ouvrage très-long, où vous voulez tout ce qui ferait la matière de plusieurs ouvrages. J’ai bien peur d’être avec vous comme Arlequin avec ce prince qui lui disait Fa mi ridere[2]. Cependant, si le fond de cet acte, si les divertissements, si l’intérêt qui y règne, si le mélange du tendre, du plaisant, des fêtes, et de la comédie, ne trouvent pas grâce devant vous, si les couplets qui regardent la France et l’Espagne ne vous plaisent pas, je suis un homme perdu. Ah ! monseigneur le duc de Foix, monseigneur le cardinal de Richelieu, monsieur de Candale, laissez-moi faire, donnez-moi du temps, permettez-moi le petit feu d’artifice qui fera un dénoûment délicieux. Voyez ; voulez-vous que j’envoie à Rameau les divertissements, pendant que je travaillerai le reste du spectacle à tête reposée ? Car on ne fait point bien quand on fait vite. Dai-

  1. De la Princesse de Navarre.
  2. La Vie est un songe, par Boissy, scène vi.