Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/323

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Pour un connaisseur très-gourmand.
Qu’il vive autant que son ouvrage[1] !
Qu’il vive autant que tous les rois
Dont il nous décrit les exploits,
Et la faiblesse, et le courage,
Les mœurs, les passions, les lois,
Sans erreur et sans verbiage !
Qu’un bon estomac soit le prix
De son cœur, de son caractère,
De ses chansons, de ses écrits !
Il a tout ; il a l’art de plaire,
L’art de nous donner du plaisir,
L’art si peu connu de jouir ;
Mais il n’a rien, s’il ne digère.
Grand Dieu ! je ne m’étonne pas
Qu’un ennuyeux, un Desfontaine,
Entouré, dans son galetas,
De ses livres rongés des rats,
Nous endormant, dorme sans peine,
Et que le bouc soit gros et gras.
Jamais Églé, jamais Sylvie,
Jamais Lise à souper ne prie
Un pedant à citations.
Sans goût, sans grâce, et sans génie,
Sa personne, en tous lieux honnie,
Est réduite à ses noirs gitons.
Helas ! les indigestions
Sont pour la bonne compagnie.

Après cet hymne à la Santé, que je fais du meilleur de mon cœur, souffrez, monsieur, que j’y ajoute mentalement un petit Gloria patri pour moi. J’ai autant besoin d’elle que vous, mais c’était de vous que j’étais le plus occupé. Qu’elle commence par vous donner ses faveurs, comme de raison. Buvez gaiement, si vous pouvez, vos eaux de Plombières, et revenez vite à Cirey, avant que les housards autrichiens ne viennent en Lorraine. Ces gens-là ne font boire que des eaux du Styx.

Souvenez-vous que, dans la foule de ceux qui vous aiment, il y a deux cœurs ici qui méritent que vous vous arrêtiez sur la route.

  1. L’Abrégé chronologique ; voyez la lettre 1656.