Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/403

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a servi à toutes celles de l’Europe. Il y a longtemps que je connais les méprises du Père Bouhours, et l’injuste sévérité de M. Despréaux à l’égard de l’Arioste et du Tasse. L’un et l’autre ne connaissaient que superficiellement ce qu’ils critiquaient. Despréaux sentait trop les petits défauts du Tasse, et pas assez ses grandes beautés.

Je vois avec un plaisir extrême que Votre Éminence, au milieu de ses grandes occupations, cultive toujours les belles-lettres : voilà, ce me semble, comme étaient faits les Romains des beaux siècles, à cela près qu’ils n’avaient pas des sentiments si humains et si pacifiques que Votre Éminence.

Daignez, monseigneur, me conserver des bontés qui animent encore en moi le goût des arts. Il se fortifie par l’exemple, et celui que donne Votre Éminence est un des plus grands encouragements que les lettres puissent recevoir. La pacifique république des gens qui pensent est répandue par toute la terre. Ils sont tous frères, vous êtes à leur tête, et quoiqu’à plus de trois cents lieues de vous, monseigneur, mon esprit se regarde comme un des sujets du vôtre.

C’est avec ces sentiments et celui du plus profond respect que je serai toujours, monseigneur, de Votre Éminence le très-humble et très-obéissant serviteur.

Voltaire.

1768. — À M. LE MARQUIS D’ARGENSON,
ministre des affaires étrangères.
À Paris, ce 20 octobre.

Monseigneur, il n’y a pas de soin que je ne prenne pour faire une Histoire complète des campagnes glorieuses du roi, et des années qui les ont précédées. Je demande des mémoires à ses ennemis mêmes. Ceux qui ont senti le pouvoir de ses armes m’aident à publier sa gloire.

Le secrétaire de M. le duc de Cumberland (qui est mon intime ami) m’a écrit une longue lettre, dans laquelle je découvre des sentiments pacifiques que les succès de Sa Majesté peuvent inspirer.

Si le roi jugeait que ce commerce pût être de quelque utilité, je pourrais aller en Flandre, sous le prétexte naturel de voir par mes yeux les choses dont je dois parler. Je pourrais ensuite aller voir ce secrétaire, qui m’en a prié. M. le duc de Cumberland ne s’y opposerait assurément pas. Je suis connu de la plupart des