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1777. — DE J.-J. ROUSSEAU[1].
Paris, le 11 décembre 1745.

Monsieur, il y a quinze ans que je travaille pour me rendre digne de vos regards et des soins dont vous favorisez les jeunes muses en qui vous découvrez quelque talent. Mais, pour avoir fait la musique d’un opéra, je me trouve, je ne sais comment, métamorphosé en musicien. C’est, monsieur, en cette qualité que M. le duc de Richelieu m’a chargé des scènes dont vous avez lié les divertissement de la Princesse de Navarre. Il a même exigé que je fisse, dans les canevas, les changements nécessaires pour les rendre convenables à votre nouveau sujet. J’ai fait mes respectueuses représentations ; monsieur le duc a insiste, j’ai obéi. C’est le seul parti qui convienne à l’état de ma fortune. M. Ballot s’est chargé de vous communiquer ces changements. Je me suis attaché à les rendre en moins de mots qu’il était possible. C’est le seul mérite que je puis leur donner. Je vous supplie, monsieur, de vouloir les examiner, ou plutôt d’en substituer de plus dignes de la place qu’ils doivent occuper.

Quant au récitatif, j’espère aussi, monsieur, que vous voudrez bien le juger avant l’exécution, et m’indiquer les endroits où je me serai écarté du beau et du vrai, c’est-à-dire de votre pensée. Quel que soit pour moi le succès de ces faibles essais, ils me seront toujours glorieux s’ils me procurent l’honneur d’être connu de vous, et de vous montrer l’admiration et le profond respect avec lesquels j’ai l’honneur d’être, monsieur, votre très-humble, etc.

J.-J. Rousseau, citoyen de Genève.

1778. — À M. J.-J. ROUSSEAU.
Le 15 décembre.

Vous réunissez, monsieur, deux talents[2] qui ont toujours été séparés jusqu’à présent. Voilà déjà deux bonnes raisons pour moi de vous estimer et de chercher à vous aimer. Je suis fâché pour vous que vous employiez ces deux talents à un ouvrage qui n’en est pas trop digne. Il y a quelques mois que M. le duc de Richelieu m’ordonna absolument de faire en un clin d’œil une petite et mauvaise esquisse de quelques scènes insipides et tronquées qui devaient s’ajuster à des divertissements qui ne sont point faits pour elles. J’obéis avec la plus grande exactitude ; je

  1. Né à Genève le 28 juin 1712, mort le 3 juillet 1778. Cette lettre est dans les Confessions.
  2. Rousseau avait commencé, en 1712, un opera intitulé les Muses galantes, dont la musique était de lui.