Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/485

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a un an qu’il est mort. Depuis ce billet, vous ne m’avez pas vu ; notre commerce n’est donc pas si récent, monsieur, que vous le prétendez, et vos secours n’ont pas été si abondants. Si vos livres de dépense, dont parle votre secrétaire, sont chargées d’autre chose, je vous prie, monsieur, de m’en envoyer le relevé ; j’y ferai honneur dans l’instant. Mais je pense que nos comptes seront courts. En attendant, je vous envoie vos 12 livres ; je n’aurais pas osé le faire si cette occasion ne s’était pas présentée. J’aurais appréhendé de vous rappeler un fait qui me paraissait aussi honteux pour vous que pour moi. J’y joins, monsieur, mon plaidoyer ; c’est, je crois, l’intérêt bien honnête de l’argent que vous m’avez prêté ; vous verrez que je ne me suis chargé de cette cause que pour vous obliger, et que je l’ai fait. Je ne me suis nullement écarté de mon objet, et quelles ressources n’aurait-il pas offertes à ma mauvaise humeur, si j’en eusse eu contre vous ? Si j’avais voulu profiter des avantages que j’avais sur vous, je vous aurais terrassé ; si j’avais voulu m’égayer sur votre lettre au Père de La Tour, sur votre querelle avec le gazetier ecclésiastique, trop comique vis-à-vis ceux qui, comme moi, connaissent vos véritables sentiments ; si j’y avais joint l’aventure si publique de votre malheureux colporteur ; si j’eusse dit en passant un mot des Lettres philosophiques, je vous mettais au désespoir et l’on m’eût canonisé. Car voilà, monsieur, ce que vous doit apprendre cette cause, et c’est à vous d’en profiter. Vous avez quelques admirateurs, beaucoup d’ennemis, et pas un ami. Quoique avancés dans notre carrière, nous sommes encore en état, vous et moi, de tirer parti même d’une faute ; vous pouvez plus aisément qu’un autre gagner le public, qui est absolument contre vous. Cela est vrai ; regardez ce discours comme celui de la plus pure amitié, ne le négligez pas ; ne faites de mal à personne, et vous en avez beaucoup fait. Faites même du bien ; la Providence vous a mis en état de le pouvoir ; vous devriez être le père des gens à talents, et vous n’en avez obligé sérieusement aucun. Apprenez que la poésie n’est pas le seul talent qui rende les hommes recommandables ; qu’il ne faut mépriser personne, et vous vous êtes accoutumé à n’estimer que vous. Vous nous méprisez souverainement, nous autres viles gens du barreau ; vous nous regardez tous comme de misérables praticiens cette cause vous rendra peut-être plus raisonnable. Pour moi, elle me satisfait beaucoup de m’avoir mis à portée de vous épargner tous les chagrins qu’un autre aurait pu vous donner, et de vous prouver que je suis véritablement, et avec les sentiments les plus sincères, monsieur, etc.

Mannory.

1859. — À M. MOREAU[1].
Mercredi (11 janvier 1747).

Souffrirez-vous, monsieur, que l’avocat Mannory ait l’insolence de faire réimprimer dans son plaidoyer les mêmes libelles

  1. Voltaire contre Travenol, par H. Beaune, 1869. Autographe de la collection Sohier.