Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/487

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die qui change trois ou quatre fois de caractère, et qui de fièvre devient paralysie, et de paralysie, convulsion ; Rome, qui donne la bénédiction et qui ouvre ses portes aux têtes de deux armées ennemies, en un même jour ; un chaos d’intérêts divers qui se croisent à tout moment ; ce qui était vrai au printemps devenu faux en automne ; tout le monde criant : La paix ! la paix ! et faisant la guerre à outrance enfin, tous les fléaux qui fondent sur cette pauvre race humaine au milieu de tout cela, un prince philosophe qui prend toujours bien son temps pour donner des batailles et des opéras ; qui sait faire la guerre, la paix, et des vers, et de la musique ; qui réforme les abus de la justice, et qui est le plus bel esprit de l’Europe. Voilà à quoi je m’amuse, sire, quand je ne meurs point ; mais je me meurs fort souvent, et je souffre beaucoup plus que ceux qui, dans cette funeste guerre, ont attrapé de grands coups de fusil.

J’ai revu M. le duc de Richelieu, qui est au désespoir de n’avoir pu faire sa cour au grand homme de nos jours. Il ne s’en console point, et moi, je ne demande à la nature un mois ou deux de santé que pour voir encore une fois ce grand homme avant d’aller dans le pays où Achille et Thersite, Corneille et Danchet, sont égaux. Je serai attaché à Votre Majesté jusqu’à ce beau moment où l’on va savoir à point nommé ce que c’est que l’âme, l’infini, la matière, et l’essence des choses ; et, tant que je vivrai, j’admirerai et j’aimerai en vous l’honneur et l’exemple de cette pauvre espèce humaine. V.


1861. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
(Potsdam), 22 février.

Vous n’avez donc point fait votre Sémirams pour Paris ? On ne se donne pas non plus la peine de travailler avec soin une tragédie pour la laisser vieillir dans un portefeuille. Je vous devine ; avouez donc que cette pièce a été composée pour notre théâtre de Berlin. À coup sûr, c’est une galanterie que vous me faites, et que votre discrétion, ou votre modestie, vous empêche d’avouer. Je vous en fais mes remerciements à la lettre, et j’attends la pièce pour l’applaudir : car on peut applaudir d’avance quand il s’agit de vos ouvrages. Il n’y a qu’une injustice extrême de la part du public, ou plutôt les intrigues et les cabales qui peuvent vous enlever les louanges que vous méritez.

Voilà donc votre goût décidé pour l’histoire ; suivez, puisqu’il le faut, cette impulsion étrangère ; je ne m’y oppose pas. L’ouvrage qui m’occupe[1]

  1. L’Histoire de mon temps.