Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/496

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beautés de détail et de ces superbes tirades qui confirment le goût décidé que j’ai pour vos ouvrages. Je ne sais cependant si les spectres et les ombres que vous mettez dans cette pièce lui donneront tout le pathétique que vous vous en promettez. L’esprit du xviiie siècle se prête à ce merveilleux lorsqu’il est en récit, et c’est un peu hasarder que de le mettre en action. Je doute que l’ombre du grand Ninus fasse des prosélytes. Ceux qui croient à peine en Dieu doivent rire quand ils voient des démons jouer un rôle sur le théâtre.

Je hasarde peut-être trop de vous exposer mes doutes sur une chose dont je ne suis pas juge compétent. Si c’était quelque manifeste, quelque alliance, ou quelque traité de paix, peut-être pourrais-je en raisonner plus à mon aise, et bavarder politique ce qui est le plus souvent travestir en héroïsme la fourberie des hommes.

Je me suis à présent enfoncé dans l’histoire ; je l’étudie, je l’écris[1], plus curieux de connaître celle des autres que de savoir la fin de la mienne. Je me porte mieux à présent ; je vous conserve toujours mon estime, et je suis toujours dans les dispositions de vous recevoir ici avec empressement. Adieu.

Fédéric.

Faites, je vous prie, mes compliments à Mme du Châtelet, et remerciez-la de la part qu’elle prend à ce qui me regarde.


1867. — À M. LE COMTE D’ARGENSON,
ministre de la guerre.
À Paris, le 4 de la pleine lune[2].

L’ange Jesrad a porté jusqu’à Memnon la nouvelle de vos brillants succès[3], et Babylone avoue qu’il n’y eut jamais d’itimadoulet dont le ministère ait été plus couvert de gloire. Vous êtes digne de conduire le cheval sacré du roi des rois, et la chienne favorite de la reine. Je brûlais du désir de baiser la crotte de votre sublime tente, et de boire du vin de Chiras à vos divins banquets. Oromasde n’a pas permis que j’aie joui de cette consolation, et je suis demeuré enseveli dans l’ombre, loin des rayons brillants de votre prospérité. Je lève les mains vers le puissant Oromasde ; je le prie de faire longtemps marcher devant vous

  1. Les Mémoires de Brandebourg.
  2. Cette lettre, écrite en juillet 1747, semblerait être du 24 du même mois, d’après la date que Voltaire lui donne ; mais je la crois du 8. Voyez les Mémoires du marquis d’Argenson, page 465. (Cl.)
  3. La victoire remportée par les Français, le 2 juillet 1747, dans les champs de Laufelt.