Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/539

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geante et à vos beaux vers. Je devrais même vous répondre dans notre langue poétique que vous parlez si bien, comme les initiés ne s’écrivaient que dans la langue sacrée. Mais il est bien difficile de faire des vers en voyageant. La cour du roi de Pologne, où j’ai eu l’honneur de passer quelque temps, a été un peu ambulante. Pardonnez-moi si je vous dis avec toute la simplicité de la prose que peu de vers m’ont fait autant de plaisir que les vôtres, et qu’il n’y en a point qui me fassent plus d’honneur. Je voudrais être à portée de pouvoir marquer à l’auteur à quel point j’ai l’honneur d’être, etc.

Voltaire.

1918. — AU LIEUTENANT GÉNÉRAL DE POLICE[1].
À Commercy, le 20 octobre 1748.

Monsieur, j’apprends la protection que vous donnez aux beaux-arts, et dont vous m’honorez. J’y suis beaucoup plus sensible que je ne suis indigné de ces misérables satires que des baladins d’Italie étaient en possession autrefois de débiter. Ils avilissaient et ils ruinaient par là le théâtre français, le seul théâtre de l’Europe estimable. Il y a environ cinq ans qu’on leur interdit cette liberté scandaleuse. Il serait assez triste qu’elle recommençât contre moi. Ce n’est pas, monsieur, que je ne méprise comme je le dois ces platitudes faites pour amuser la canaille et pour nourrir l’envie. Mais les circonstances où je me trouve me forcent à regarder ces sottises d’un œil un peu plus sérieux. J’ai des confrères chez le roi, qui regardent cet avilissement public comme un affront que je me suis attiré de gaieté de cœur, en travaillant encore pour le théâtre, et qui rejaillit sur eux. Je vous confie qu’ils pourront me donner tant de dégoûts qu’ils m’obligeront à me défaire de ma charge. Les bontés dont vous m’honorez, monsieur, m’enhardissent à ne vous rien cacher, et je vous avouerai que je traite actuellement d’une charge honorable, et que je n’aurai certainement pas si je suis aussi avili aux yeux du roi, dont je suis le domestique et pour qui j’avais fait Sémiramis. Une de mes nièces est prête à se marier à un homme de condition, qui ne voudra pas d’un oncle vilipendé. Vous savez comment les hommes pensent, et quelles suites ont toutes les choses auxquelles on attache du mépris et du ridicule. Il est très-probable que cette niaiserie aurait un effet funeste

  1. Éditeur, Léouzon Leduc.