Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/545

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toujours à faire usage de votre esprit pour établir votre fortune. Il n’y a rien que je ne fasse pour vous prouver combien la douceur de vos mœurs, votre goût, et vos premières productions, m’ont donné d’espérances sur vous. Je suis très-fâché de vous avoir été jusqu’ici bien inutile.

Voltaire.

Sans compliment et sans cérémonie.


1924. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Lunéville, le 30 octobre.

Je reçois la lettre de mon cher ange, du 18. Vous me dites, mon cher et respectable ami, que la prétention de M. de Maurepas est insoutenable ; mais savez-vous qu’en réponse à la lettre la plus respectueuse, la plus soumise et la plus tendre, il m’a mandé sèchement et durement qu’on jouerait la parodie[1] à Paris, et que tout ce qu’on pouvait faire pour moi était d’attendre la suite des premières représentations de ma pièce ? Or cette suite de premières représentations pouvant être regardée comme finie, on peut conclure de la lettre de M. de Maurepas que les Italiens sont actuellement en droit de me bafouer ; et, s’ils ne le font pas, c’est qu’ils infectent encore Fontainebleau de leurs misérables farces faites pour la cour et pour la canaille.

M. le duc de Gèvres[2] m’a mandé que les premiers gentilshommes de la chambre ne se mêlaient pas des pièces qu’on joue à Paris. En effet, la permission de représenter tel ou tel ouvrage a toujours été dévolue à la police et peut-être tout ce que peut faire un premier gentilhomme de la chambre, c’est de faire servir son autorité à intimider des faquins qui joueraient une pièce malgré eux, et à se faire obéir plutôt par mesure que par droit.

Cependant ce que vous me mandez, et la confiance extrême qui j’ai en vous, me font suspendre mes démarches. J’allais envoyer une lettre très-forte à Mme de Pompadour, et même un placet au roi, qui n’est pas assurément content à présent de celui[3] qui me persécute. Je supprime tout cela, et je ne m’adresserai au maître que quand je serai abandonné d’ailleurs ; mais j’ai besoin de savoir à quoi m’en tenir, et jusqu’à quel point

  1. Voyez, tome IV, page 485, le n° ix de la note 3.
  2. Voyez la note 4, page 532.
  3. Le comte de Maurepas. Louis XV l’exila en novembre 1749, comme auteur d’une épigramme contre la Pompadour. (Cl.)