Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/63

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


1444. — À M. DE MAUPERTUIS.
À Bruxelles, ce 28 mai.

Vous n’avez pas sans doute reçu les lettres que Mme du Châtelet et moi nous vous avons écrites à Vienne. Si vous aviez pu savoir la douleur dont nous fûmes pénétrés sur le faux bruit de votre mort, vous m’écririez avec un peu plus d’amitié, et vous ne vous borneriez point à me parler au nom de la reine mère[1]. Est-il possible que ce soit vous qui ayez des inégalités ! Je ne vous cacherai point qu’on m’a mandé que vous vous étiez plaint à Berlin d’expressions dont je m’étais servi en parlant de vous. Je ne me souviens pas d’en avoir jamais employé d’autres que celles de digne appui de Newton, de mon maitre dans l’art de penser.

Je l’ai dit en vers et en prose, et vous n’avez jamais eu de partisan plus attaché que moi. Si ce sont ces expressions qui vous ont choqué, je vous avertis que je ne m’en corrigerai pas et que, si vous avez de l’inégalité dans l’humeur et de l’injustice dans le cœur, je ne vous en regarderai pas moins comme un homme qui fait honneur à son siècle. Mais il m’en coûterait infiniment d’être réduit à n’avoir pour vous que les froids sentiments de l’estime.

Je vous ai toujours aimé, et ne vous ai jamais manqué. Je suis en droit, par mon amitié, de vous gronder vivement, de vous reprocher votre humeur avec moi. J’use de mes droits, et je vous conjure de ne jamais croire que je puisse ni penser ni parler de vous d’une manière qui vous déplaise. C’est une vérité aussi incontestable que celle de l’aplatissement des pôles.

Si vous écrivez au roi, je vous prie de lui dire qu’il y a près d’un mois que je suis malade : c’est ce qui m’empêche de répondre à la lettre charmante dont il m’a honoré. Vous pourrez aisément m’excuser envers Sa Majesté de la manière dont vous savez tout dire.

Vous savez qu’on n’a pas été trop content dans le monde de la lettre de M. de Mairan, et qu’on l’a été beaucoup de celle de Mme du Châtelet[2]. L’Académie est toujours partagée sur les forces vives. J’ai pris la liberté d’entrer dans la querelle et d’envoyer un mémoires[3] à l’Académie. Je voulais un jugement ; mais

  1. Sophie-Dorothée, sœur de George II, roi d’Angleterre, mère de Frédéric II.
  2. Voyez les Doutes sur les forces motrices, tome XXIII, page 165.
  3. Voyez, sur ces lettres, les notes 1 et 4 de la page 31.