Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/84

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Des baux lieux où le dieu du vin
Avec l’Amour tient son empire,
Le Temps, qui me prend par la main,
M’avertit que je me retire.

Quoi ! pour toujours vous me fuyez,
Tendresse, illusion, folie,
Dons du ciel, qui me consoliez
Des amertumes de la vie !

Que le matin touche à la nuit !
Je n’eus qu’une heure ; elle est finie.
Nous passons ; la race qui suit
Déjà par une autre est suivie.

On meurt deux fois, je le vois bien ;
Cesser d’aimer et d’être aimable,
C’est une mort insupportable ;
Cesser de vivre, ce n’est rien.

Ainsi je déplorais la perte
Des erreurs de mes premiers ans ;
Et mon âme aux désirs ouverte
Regrettait ses égarements.

Du ciel alors daignant descendre,
L’Amitié vint à mon secours ;
Elle est plus égale, aussi tendre,
Et moins vive que les Amours.

Touché de sa beauté nouvelle,
Et de sa lumière éclairé,
Je la suivis, mais je pleurai
De ne pouvoir plus suivre qu’elle.

Cette amitié est pourtant une charmante consolation. Eh ! qui m’en fait connaître le prix mieux que vous ? L’amour, à qui vous avez si bien sacrifié toute votre vie, n’a servi qu’à vous rendre tendre pour vos amis, et à rendre votre société encore plus délicieuse. Cependant vous plaidez, et vous voilà près des degrés du palais. Quel métier pour vous et pour Mme du Châtelet de passer son temps avec des exploits et des contredits ! Je défie votre chicane de Rouen d’être plus chicane que celle de Bruxelles. Un beau matin nous devrions laisser là toutes ces amertumes de la vie, et nous rassembler avec Levia carmina et faciles versus. N’êtes-vous pas à présent avec votre procureur ? Mme du Châtelet est