Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/108

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et à la fatigue ? Comment vous portez-vous, belle Électre ? Gardez-vous d’écrire jamais votre rôle si dru avec moi ; ce n’est pas là mon compte ; il me faut des espaces terribles. Vous demandez qu’on accourcisse la scène des deux sœurs, au second acte ; cela est fait, sans qu’il vous en coûte rien. J’ai coupé les cotillons d’Iphise, et n’ai point touché à la jupe d’Électre.

Je prie la divine Électre, dont je me confesse très-indigne, de ne point trouver mauvais que j’aie chargé son rôle de quelques avis. Je n’ai point prétendu noter son rôle, mais j’ai prétendu indiquer la variété des sentiments qui doivent y régner, et les nuances des sentiments qu’elle doit exprimer. C’est l’allegro et le piano des musiciens. J’en use ainsi depuis trente ans avec tous les acteurs, qui ne l’ont jamais trouvé mauvais ; et je n’en ai pas certainement moins de confiance dans ses grands talents, dont j’ai été toujours le partisan le plus zélé.

J’oserai en aller raisonner vers les cinq heures avec vous. C’est tout ce qui me reste que de raisonner, et j’en suis bien fâché. Je sens pourtant ce que vous valez, tout comme un autre, et vous suis dévoué plus qu’un autre.


2057. — À MADAME LA DUCHESSE DU MAINE.
Paris, janvier.

Ma protectrice, quelle est donc votre cruauté de ne vouloir plus que les pièces grecques soient du premier genre ? Auriez-vous osé proférer ces blasphèmes du temps de M. de Malezieu[1] ? Quoi ! j’ai fait Électre pour plaire à Votre Altesse sérénissime ; j’ai voulu venger Sophocle et Cicéron, en combattant sous vos étendards ; j’ai purgé la scène française d’une plate galanterie dont elle était infectée ; j’ai forcé le public aux plus grands applaudissements ; j’ai subjugué la cabale la plus envenimée ; et l’âme du grand Condé, qui réside dans votre tête, reste tranquillement chez elle à jouer au cavagnole et à caresser son chien ! et la princesse qui, seule, doit soutenir les beaux-arts et ranimer le goût de la nation, la princesse qui a daigné jouer Iphigènie en Tauride[2], ne daigne pas honorer de sa présence cet Oreste que j’ai fait pour elle, cet Oreste que je lui dédie ! Je vous demande en grâce, madame, de ne me pas faire l’affront de négliger ainsi mon offrande. Oreste et Ciceron sont vos enfants ; protégez-les

  1. Voyez tome XXXIII, page 177.
  2. Traduite du grec d’Euripide, par Malezieu.