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mettre de l’amitié. Leur sort fut malheureux, et j’aurais dû m’y attendre. Un solitaire qui ne sait point parler, un homme timide, découragé, n’osa se présenter à vous. Quel eût été mon titre ? Ce ne fut point le zèle qui me manqua, mais l’orgueil ; et n’osant m’offrir à vos yeux, j’attendis du temps quelque occasion favorable pour vous témoigner mon respect et ma reconnaissance.

Depuis ce jour, j’ai renoncé aux lettres et à la fantaisie d’acquérir de la réputation ; et, désespérant d’y arriver, comme vous, à force de génie, j’ai dédaigné de tenter, comme les hommes vulgaires, d’y parvenir à force de manège ; mais je ne renoncerai jamais à mon admiration pour vos ouvrages. Vous avez peint l’amitié et toutes les vertus en homme qui les connaît et les aime. J’ai entendu murmurer l’envie, j’ai méprisé ses clameurs, et j’ai dit, sans crainte de me tromper : Ces écrits qui m’élèvent l’âme, et m’enflamment le courage, ne sont point les productions d’un homme indifférent pour la vertu.

Vous n’avez pas, non plus, bien jugé d’un républicain, puisque j’étais connu de vous pour tel. J’adore la liberté ; je déteste également la domination et la servitude, et ne veux en imposer à personne. De tels sentiments sympathisent mal avec l’insolence ; elle est plus propre à des esclaves, ou à des hommes plus vils encore, à de petits auteurs jaloux des grands.

Je vous proteste donc, monsieur, que non-seulement Rousseau de Genève n’a point tenu les discours que vous lui avez attribués, mais qu’il est incapable d’en tenir de pareils. Je ne me flatte pas de mériter l’honneur d’être connu de vous ; mais si jamais ce bonheur m’arrive, ce ne sera, j’espère, que par des endroits dignes de votre estime.

J’ai l’honneur d’être avec un profond respect, monsieur, votre très-humble, etc.

J.-J. Rousseau, citoyen de Genève.

2064. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
À Paris, le 5 février.

Du sein des brillantes clartés,
Et de l’éternelle abondance
D’agréments et de vérités
Dont vous avez la jouissance.
Trop heureux roi, vous insultez
Mon obscure et triste indigence.
Je vous l’avoue, un bon écrit
De ma part est chose très-rare ;
Je ne suis que pauvre d’esprit,
Vous m’appelez d’esprit avare.
Mais il faut que le pauvre encor
Porte sa substance au trésor
De ces puissances trop altières ;