Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/177

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Je vous ai exposé ma situation, mes raisons, ma fortune, et mes désirs. Ces désirs seront toujours de vous faire ma cour, de vivre avec mes amis ; mais, en vérité, serait-il prudent de revenir en France dans les circonstances où je suis, et de quitter une vie honorable et tranquille pour m’exposer à des humiliations et à des orages ?

Vous m’avez fait l’honneur de me mander que le roi et Mme  de Pompadour, qui ne me regardaient pas quand j’étais en France, ont été choqués que j’en fusse sorti. Comment serai-je donc traité si je reviens ? Mme  de Pompadour, en dernier lieu, semblait s’être éloignée de moi. Renoncerai-je à la faveur, à la familiarité d’un des plus grands rois de la terre, d’un homme qui ira à la postérité, pour aller briguer à une toilette un mot que je n’obtiendrai pas ? pour solliciter auprès de M. d’Argenson, dans ma vieillesse, la permission de passer une heure quelquefois aux assemblées de l’Académie des sciences et des inscriptions, après qu’il aurait dû m’offrir lui-même cette consolation ?

Je sais qu’avec un peu de philosophie et une très-mauvaise santé on peut fort bien rester chez soi à Paris ; et c’est le parti que probablement mes maladies et la caducité avancée où je touche me feront prendre. Mais alors quel triste rôle ! quelle condition équivoque ! quelle dépendance de ceux qui pourront me faire sentir que j’ai eu tort de m’en aller, et tort de revenir ! Ma vieillesse ne serait-elle pas empoisonnée et par les gens de lettres et par ceux qui ont donné de moi à monsieur le dauphin des impressions si dangereuses sur mon compte ?

Daignez donc, monseigneur, je vous en conjure, peser toutes ces raisons ; puisque vous conservez pour moi tant de bontés, ayez celle de ne me point exposer. Serait-il mal à propos que vous poussassiez vos bons offices jusqu’à montrer naturellement à Mme  de Pompadour ma situation et mes raisons ? ne pourriez-vous pas lui dire qu’en quittant la France je n’ai fait que me soustraire à la mauvaise volonté des gens qui ne m’aiment pas ? L’ancien évêque de Mirepoix a éclaté contre moi au sujet d’un petit écrit qu’on m’imputait, intitulé la Voix du sage et du peuple ; écrit qui en a fait éclore tant d’autres[1], comme la Voix du pape, la Voix du prêtre, la Voix du laïque, la Voix du capucin, etc.

Celui qu’on m’imputait soutenait les droits du roi ; mais le roi ne se soucie guère qu’on soutienne ses droits ; et ceux qui les usurpent persécutent tant qu’ils peuvent ceux qui les

  1. Voyez la note, tome XXIII, page 466.