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et de reconnaissance avec lesquels je serai, toute ma vie, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


2135. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Potsdam, le 15 octobre.

Mon cher ange, il faut que je fasse ici une petite réflexion. Vous me battez en ruine sur trois cents lieues, et je vous ai vu sur le point d’en faire deux mille[1] ; et assurément vous n’auriez pas trouvé, au bout de vos deux mille, ce que je trouve au bout de mes trois cents. Vous ne seriez pas revenu sur une de mes lettres comme je reviens sur les vôtres ; vous n’auriez pas voyagé de l’autre monde à Paris, comme je voyagerai pour vous. Croyez, mes anges, qu’il me sera plus aisé de venir vous voir qu’il ne me l’a été de me transplanter. Je me tiens en haleine pour vous. Je viens de jouer la Mort de César. Nous avons déterré un très-bon acteur dans le prince Henri, l’un des frères du roi. Nous bâtissons ici des théâtres aussi aisément que leur frère aîné gagne des batailles et fait des vers. Chie-en-pot-la-Perruque est ici plus content, plus fêté, plus accueilli, plus honoré, plus caressé qu’il ne le mérite :


Nisi quod non simul esses, cætera lætus.

(Hor., lib. I, ép. x, V. 50.)

Il vous apportera bientôt des gouttes d’Hoffman, des pilules de Stahl. Si mon voyage contribuait à la santé de Mme  d’Argental et de vos amis, ne serais-je pas le plus heureux des hommes ? L’aventure de Lekain[2] et des évêques[3] ne contribue pas peu à me faire aimer la France. Je vous réponds que le roi mon maître approuve infiniment le roi mon maître. On ne sait guère, dans mon nouveau pays, ce que c’est que des évêques ; mais on y est charmé d’apprendre que, dans mon ancien pays, on met à la raison des personnes assez sacrées pour croire ne devoir rien à l’État dont elles ont tout reçu, et mon ancienne cour sait com-

  1. Voyez tome XXXIV, page 411.
  2. Lekain, après avoir débuté le 14 septembre 1750, n’était pas encore admis à l’essai, et ne le fut que le 1er décembre, avec 100 francs par mois. Voyez la note de la lettre 2173.
  3. L’assemblée du clergé se refusait aux demandes du roi ; un arrêt du conseil, du 15 septembre 1750, ordonnait, malgré ses remontrances, de lever sur les biens du clergé une somme de quinze cent mille francs pendant cinq ans.