Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/217

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s’acquittait, à Paris, de la commission dont il était honoré, devait servir à vous faire regretter ; et la manière dont il s’est conduit ici a achevé de le faire connaître. Je ne me repens point du bien que je lui ai fait, mais j’en suis bien honteux. S’il n’avait été qu’ingrat envers moi, je ne vous en parlerais pas ; je le laisserais dans la foule de ses semblables ; mais je suis obligé de vous apprendre que, par sa mauvaise conduite, il vient de forcer le roi à le chasser. Ses égarements ont commencé par la folie, et ont fini par la scélératesse.

Il débuta, en arrivant en cour par le coche, par dire qu’il était un homme de grande condition ; qu’il avait perdu ses titres de noblesse et les portraits de ses maîtresses, avec son bonnet de nuit. On l’avait recommandé comme un homme à talent, et le roi lui donnait environ cinq mille livres de pension. Ce beau fils, tiré de la boue et de la misère, affectait de n’être pas content, et disait tout haut que le roi se faisait tort à lui-même en ne lui donnant pas cinq mille écus de pension, et en ne le faisant pas souper avec lui. Il dit qu’il soupait tous les jours, à Paris, avec M. le duc de Chartres et M. le prince de Conti. Il crut qu’il était du bon air de parler avec mépris de la nation et des finances.

À cet excès d’impertinence et de démence succédèrent les plus grandes bassesses. Il escroqua de l’argent à M. Darget et à bien d’autres ; il se répandit en calomnies ; et enfin, devenu l’exécration et le mépris de tout le monde, il a forcé Sa Majesté à le renvoyer. Il a eu encore la vanité de demander son congé, après l’avoir reçu, pour faire croire, à Paris, qu’un homme de sa naissance et de son mérite n’avait pu s’accoutumer de la simplicité des mœurs qui régnent dans cette cour.

Vous savez peut-être que, quand il a vu l’orage prêt à fondre sur lui, le perfide a prétendu se ménager une ressource en France en écrivant à cet autre scélérat de Fréron, et en prétendant qu’on avait inséré des traits contre la France dans une Préface qu’il avait faite, il y a environ dix-huit mois, pour une édition de mes ouvrages. Vous noterez qu’ayant fait cette Préface pour obtenir de moi quelque argent il me l’a laissée écrite et signée de sa main ; qu’il n’y avait pas un mot dont on pût seulement tirer la moindre induction maligne ; mais qu’elle était si mal écrite qu’il y a huit mois je défendis qu’on en fît usage. Malgré tout cela, ce beau fils s’est donné le plaisir d’essayer jusqu’où l’on pouvait pousser l’ingratitude, la folie et la noirceur. Les pervers sont d’étranges gens ; ils se liguent à trois cents lieues l’un de l’autre ; mais il arrivera tôt ou tard à Fréron ce