Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/310

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un mauvais parti ; vous savez si bien corriger vos ouvrages ; il est beaucoup plus essentiel de corriger votre conduite. Vous avez fait une grande faute ; vous ne sauriez assez tôt la réparer.

Ce qu’on a obtenu[1], à l’égard de Mahomet, doit vous prouver qu’il n’y a plus d’acharnement ni d’animosité contre vous, et que vous avez dans M. de Richelieu un ami qui vous sert de la manière la plus vive, la plus essentielle, et dont, jusqu’à présent, vous n’avez pas fait assez d’usage. Le succès de Mahomet, qui n’est pas douteux, augmentera encore le désir de vous revoir, et préparera votre réception. Rome sauvée sera sûrement votre meilleur ouvrage. Il est impossible de la donner sans vous ; il y a une perfection à mettre à la pièce que vous n’apercevrez que quand vous verrez les choses de plus près ; et les acteurs ne sauraient la bien jouer sans vos avis. Vous rendrez les bons excellents, et les médiocres supportables. Il est sûr que, réflexion faite, nous ne nous chargerons jamais, vous absent[2], de donner un ouvrage dont le succès sans vous peut être incertain, qui est assuré lorsque vous y serez ; et que vous achèverez de rendre la pièce digne de vous, et les acteurs dignes de la pièce.

Votre gloire, votre bonheur, sont intéressés à votre retour. Occupé tout entier de votre intérêt, je ne vous parle pas du mien. Si vous daignez y faire attention, vous penserez qu’il ne tient qu’à vous de m’accabler de douleur, ou de me combler de joie. Mme d’Argental partage mes sentiments, et il n’y en a point qui vous soient plus connus que ceux qui m’attachent à vous.

Le coadjuteur[3], Choiseul[4], etc., vous attendent avec la plus vive et la plus tendre impatience. Vous serez reçu à bras ouverts ; et, si vous êtes touché de l’amitié (comme je n’en saurais douter), vous éprouverez le plus sensible plaisir qu’elle puisse procurer.


2260. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Potsdam, le 7 août.

Mon adorable ami, je reçois votre lettre du 30 juillet ; et la poste, qui repart presque au même instant qu’elle arrive, me laisse un petit moment pour vous remercier de tant d’attentions et de bontés. Vraiment vous n’avez rien vu. Je vous enverrai une nouvelle Rome avant qu’il soit peu, peut-être par M. le maréchal de Lowendahl, peut-être par une autre voie, mais vous aurez une Rome. Je vous avertis que ce n’est plus Fulvius qu’on tue, c’est Nonnius. Ce M. Nonnius n’est connu dans le monde que

  1. La permission de jouer Mahomet ; voyez tome IV, page 99, la note 1.
  2. Il fallut cependant s’y résigner pour toutes les pièces qui furent jouées pendant la longue absence de Voltaire, depuis 1750 jusqu’en 1778.
  3. L’abbé de Chauvelin.
  4. Depuis duc de Praslin.