Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/314

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peur que les charmes de mon héros et quelques études où je me livre ne m’arrêtent. Plus j’avance dans la carrière de la vie, et plus je trouve le travail nécessaire. Il devient à la longue le plus grand des plaisirs, et tient lieu de toutes les illusions qu’on a perdues. Je vous en souhaite, des illusions.

Adieu, monsieur ; conservez-moi une bonté, une amitié qui est pour moi un bien très-réel. Je vous supplie d’ajouter à cette réalité celle de me conserver dans le souvenir de Mme du Deffant. Nous n’avons pas ici grand nombre de dames ; mais mon Marc-Aurèle aurait beau rassembler les plus aimables, il n’en trouverait point comme elle. C’est ce qui fait que nous avons pris notre parti de renoncer aux femmes.

Je n’ose vous supplier de présenter mes respects à M. le comte d’Argenson : je ne suis pas homme à lui causer le moindre petit regret ; mais il m’en cause beaucoup, et il ne s’en soucie guère. Ne faites pas comme lui. Regardez-moi comme l’habitant du Nord qui vous est le plus attaché.


2264. — À MADAME DE FONTAINE.
Potsdam, le 17 août.

J’ai reçu assez tard votre lettre de Plombières, ma chère nièce : elle est du 17 juillet, et ne m’est parvenue qu’au bout d’un mois. Ou elle est mal datée, ou les postes de vos montagnes cornues[1] ne sont pas trop régulières. Ma réponse ira probablement vous trouver à Paris. Enfin vous vous êtes donc souvenue de votre déserteur, dans l’oisiveté du séjour des eaux. Elles me firent autrefois beaucoup de bien ; mais le cuisinier de M. de Richelieu me fit beaucoup de mal. Je me flatte que vous avez un meilleur régime que moi. Votre estomac est un peu fait sur le modèle du mien, mais soyez plus sage si vous pouvez. Pour moi, après avoir tâté des eaux froides, des eaux chaudes, et de toutes les espèces de bon et de mauvais régimes, après avoir passé par les mains des charlatans, des médecins, et des cuisiniers ; après avoir été malade à Berlin le dernier hiver, je me suis mis à souper, à dîner, et même à déjeuner : on dit que je m’en porte mieux, et que je suis rajeuni ; je sens bien qu’il n’en est rien ; mais j’ai vécu doucement six mois presque de suite avec mon roi, mangeant comme un diable, et prenant, ainsi que

  1. Expression employée par Voltaire dans son Épitre à Pallu, de 1729 ; voyez tome X, page 262.