Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/369

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situation présente. Je demande pardon à l’orateur romain et à vous de le faire si mal parler ; mais voici tout ce que je peux faire dans l’embarras horrible où me met ce Siècle de Louis XIV, et dans l’épuisement de forces où mes maladies continuelles me laissent.


Allez ; de tous côtés poursuivez ces pervers,
Et que, malgré César, on les charge de fers.
Sénat, tu m’as remis les rênes de l’empire ;
Je les tiens pour un jour, ce jour peut me suffire.
Je vengerai l’État ; je vengerai la loi ;
Sénat, tu seras libre, et même malgré toi.
Rome, reçois ici mes premiers sacrifices etc[1].


Ma nièce aura la bonté de faire coudre tout cela à l’habit de Catilina. Je ne crois pas qu’elle ait absolument toutes les corrections ; par exemple, il y avait deux fois dans la pièce : Assis dans le rang des maîtres de la terre, ou quelque chose d’approchant qui paraît se répéter.

Il faut qu’à la première scène du premier acte Catilina dise :


Orateur insolent qu’un vil peuple seconde,
Plébéien qui régis les souverains du monde[2].


Si, avec tous ces changements, avec tout l’art que j’ai pu mettre dans le rôle ingrat et hasardé d’Aurélie, avec les traits dont j’ai tâché de peindre les mœurs romaines et les caractères des personnages, avec les peines continuelles et redoublées que j’ai prises pour faire tolérer un sujet si peu fait pour les têtes françaises de nos jours, on croit que Rome sauvée peut être jouée, je ne m’y oppose pas ; mais je tremble beaucoup. Je dois tomber, puisque la farce allobroge de Crébillon a réussi. Le même vertige qui a fait avoir vingt représentations à cet ouvrage, qui déshonore la nation dans toute l’Europe, doit faire siffler le mien. Les cabales, petites et grandes, sont plus fortes et plus insensées que jamais. Enfin je me remercierais de m’être échappé de ce temps de décadence et de ce séjour de folie dangereuse, si la douceur de ma retraite n’était empoisonnée par votre absence, et si je ne m’étais arraché à tout ce que j’aime ; mais j’ai été long-

  1. Variantes du cinquième acte.
  2. On lit actuellement :
    Assis au premier rang des souverains du monde.