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mon genre de vie, et qu’elle sera toujours convaincue, par toutes mes démarches, que je ne suis ici uniquement que pour elle.

Il n’y a assurément que l’excès de ses bontés qui puisse me faire supporter de si longues maladies, privé de toute consolation.


2321. — À MADAME DENIS.
À Berlin, le 18 janvier.

Nous avons perdu, au commencement de l’année, ce comte de Rottembourg qui voulait que vous vinssiez faire un petit tour à Berlin avec madame sa femme ; je ne sais si elle y viendra disputer son douaire. Il est mort à l’âge d’environ quarante ans. On dit toujours, quand on voit de ces morts prématurées, que la vie est un songe ; que les hommes ne sont que des ombres passagères ; qu’il ne faut pas compter sur un moment. On le dit ; et puis ou agit, on fait des projets comme si on était immortel. Je ne suis pas sûr du lendemain ; pourquoi ne suis-je donc pas aujourd’hui auprès de vous ? J’aurai retiré mes fonds avant que l’édition de Dresde soit finie, et alors je retirerai ma personne.

Nous avons su, après la mort du comte de Rottembourg, qu’il ne nous épargnait pas toujours dans les petites conférences qu’il avait avec Sa Majesté. C’est là l’étiquette des cours ; on y dit du mal de son prochain aux rois, quand ce ne serait que pour les amuser. Je vois que tout le monde est courtisan. Un valet de chambre du comte de Rottembourg a bien assuré le roi qu’il n’était point entré de prêtres chez son maître, et que ceux qui disaient le contraire étaient des calomniateurs qui voulaient faire tort à sa mémoire.

Je me tâte pour savoir si je suis en vie ; cet hiver m’est encore plus fatal que le précédent. On n’a pourtant chaud en hiver que dans les pays froids. Vos petites cheminées de Paris, où l’on se rôtit les jambes pour avoir le dos gelé, ne valent pas nos poêles. Il semble qu’on ne se doute pas en France, pendant l’été, qu’il y a quatre saisons, et que l’hiver en est une. On dit que c’est bien pis en Italie : les maisons n’y sont faites que pour respirer le frais, et quand les gelées viennent, toute la nation grelotte.

C’est une chose plaisante de voir ici les courtisans monter l’escalier avec un grand manteau doublé de peaux de loup ou de renard, et très-souvent la fourrure en dehors. Cette procession fourrée m’étonne toujours, tandis que les dames vont les bras nus, la gorge découverte, et l’amplitude bouffante du panier