Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/393

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tendre Crébillon m’avait enlevé la fleur de la nouveauté. On peut applaudir, pendant quelques représentations, à quelques ressources de l’art, à la peine que j’ai eue de subjuguer un terrain ingrat ; mais, à la fin, il ne restera que l’aridité du sol. Comptez qu’à Paris, point d’amour, point de premières loges, et fort peu de parterre. Le sujet de Catilina me paraît fait pour être traité devant le sénat de Venise, le parlement d’Angleterre, et messieurs de l’Université. Comptez qu’on verra bientôt disparaître à la Comédie de Paris les talons rouges et les pompons. Si le procureur général et la grand’chambre ne viennent en premières loges, Cicéron aura beau crier[1] : Ô tempora ! ô mores ! on demandera Inès de Castro et Turcaret.

Mais c’est beaucoup d’avoir plu aux connaisseurs, aux gens sensés, et même aux cicéroniens. L’abbé d’Olivet me doit au moins un compliment en latin, et je n’en quitte pas monsieur le recteur des quatre facultés. Mon cher et ancien ami, il me serait bien plus doux de venir vous embrasser en français, de souper avec Mme Denis et avec vous, dans ma maison, ou du moins de vous voir souper. Je demanderai assurément permission à l’enchanteur auprès duquel je suis de venir faire un petit tour dans ma patrie. Ma santé en a grand besoin ; mon cœur, davantage.

Je prendrai le temps qu’il va voir ses armées et ses provinces, et, pendant qu’il courra nuit et jour pour rendre heureux des Allemands, je viendrai l’être auprès de vous. Buvez à ma santé, conservez-moi votre amitié, et soyez sûr que tous les rois de la terre et tous les châteaux enchantés ne me feraient pas oublier un ami tel que vous.

Votre lettre est charmante, mais je vous trouve bien modeste de dater notre amitié de trente ans ; mon cher Cideville, il y en a plus de quarante.


2344. — À M. LE MARQUIS D’ARGENS[2].

Cher frère, la Discipline militaire a été mise en crédit. On a commenté le texte, qu’il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et Salomon a dit : « Il faut que ce faquin croie ces gens-là bien vertueux, puisqu’il ose les insulter et qu’il compte sur leur patience. »

  1. Catilinaire première.
  2. Éditeurs, de Cayrol et François.