Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/400

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

extrême que j’ai de vous revoir ; mais il est bien difficile de quitter un roi philosophe qui pense en tout comme moi, et qui fait le bonheur de ma vie. Les honneurs ne sont rien ; c’est tout au plus un hochet avec lequel il est honteux de jouer, surtout lorsqu’on se mêle de penser. Mais être libre auprès d’un grand roi, cultiver les lettres dans le plus grand repos, et avoir presque tous les jours le bonheur d’entendre un souverain qui se fait homme, c’est une félicité assez rare. Il ne me manque que la félicité de voir ma nièce et des amis tels que vous. Je vous embrasse tendrement, et vous aime de tout mon cœur.


2349. — À MADAME DENIS.
Le 16 mars au soir.

Nous saurons, dans la vallée de Josaphat, pourquoi j’ai reçu si tard votre lettre du 25 février, par laquelle vous m’apprenez que Rome sauvée n’est pas perdue. Les bonnes nouvelles sont toujours retardées, et les mauvaises ont des ailes. Soyez bénie d’avoir gagné cette bataille, malgré les officiers de nos troupes qui ne se sont pas, dit-on, trop bien comportés. Est-il vrai que Cicéron avait une extinction de voix, et que le sénat était fort gauche ? Toutes les lettres confirment que César a joué parfaitement, et qu’il y a eu de l’enthousiasme dans le parterre.

Savez-vous quel est mon avis ? C’est de nous retirer sur notre gain. Une pièce si romaine et si peu parisienne ne peut longtemps attirer la foule. Les scènes fortes et vigoureuses, les sentiments de grandeur et de générosité ravissent d’abord ; mais l’admiration s’épuise bien vite. On n’aime que les portraits où l’on se retrouve.

Les dames des premières loges se retrouveront-elles dans le sénat romain ? On ne joue plus le Sertorius de Pierre Corneille, et on donne souvent le très-plat Comte d’Essex de son frère Thomas. Les gens instruits peuvent me savoir gré d’avoir lutté contre les difficultés d’un sujet si ingrat et si impraticable ; mais je suis toujours très-persuadé que les loges se lasseront de voir des héros en us, des Lentulus, des Céthégus, des Clodius. Ils sont bien heureux de n’avoir pas été renvoyés au collège.

Je demande très-instamment à notre petit conseil de ne point donner la pièce après Pâques. Si on l’imprime, je dois absolument la dédier à Mme  du Maine : c’est une dette d’honneur ; je lui en ai fait mon billet. Elle exigea de moi, quand je partis pour