Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/461

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quelque combat paisible, elle s’amusera à mettre en vers ce qu’elle nous dit hier en prose d’une manière si vive et si touchante. En vérité, il y a un homme bien extraordinaire dans le monde :


Il est grand roi tout le matin,
Après dîner grand écrivain,
Tout le jour philosophe humain,
Et le soir convive divin.
C’est un assez joli destin ;
Puisse-t-il n’avoir point de fin !


On me presse d’aller à Paris ; on veut que j’aille voir jouer cette tragédie[1] que vous aimez et que vous protégez. Oui, tarare ; je ne quitterai point mon grand homme pour aller chez des gens qui demandent des billets de confession.

Pardon, sire ; on ne peut s’empêcher de vous chérir malgré son profond respect.


2398. — À MADAME DENIS.
À Potsdam, le 24 juillet.

Vous avez la plus grande raison, vous et vos amis, de presser mon retour ; mais vous ne m’en avez pas toujours pressé par des courriers extraordinaires, et ce qu’on mande par la poste est bientôt su[2]. Quand il n’y aurait que ce malheur-là dans l’absence (et il y en a tant d’autres !), il faudrait ne jamais quitter sa famille et ses amis. L’établissement des postes est une belle chose, mais c’est pour les lettres de change. Le cœur n’y trouve pas son compte ; il n’est plus permis de l’ouvrir dès qu’on est éloigné.

La plus grande des consolations est interdite ; je ne vous écris plus, ma chère enfant, que par des voies sures, qui sont rares. Voici mon état : Maupertuis a fait discrètement courir le bruit que je trouvais les ouvrages du roi fort mauvais ; il m’accuse de conspirer contre une puissance dangereuse, qui est l’amour-propre ; il débite sourdement que le roi m’ayant envoyé de ses vers à corriger, j’avais répondu : « Ne se lassera-t-il point de m’envoyer son linge sale à blanchir ? » Il tient cet étrange discours à l’oreille de dix ou douze personnes, en leur recomman-

  1. Rome sauvée, ou Catilina.
  2. Frédéric ouvrait toutes les lettres de Voltaire et de Mme Denis. (Cl.)