Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/498

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Moreau de Maupertuis écrivit et fit écrire à cette princesse, pour l’engager à faire supprimer, par son autorité, les réponses que M. Kœnig pourrait faire. Son Altesse sérénissime a été indignée d’une persécution si insolente, et M. Kœnig s’est justifié pleinement, non-seulement en faisant voir que ce qui appartient à M. de Maupertuis dans sa théorie est faux, et qu’il n’y a que ce qui appartient à Leibnitz et à d’autres qui soit vrai ; mais il a donné la lettre tout entière de Leibnitz, avec deux autres de ce philosophe. Toutes ces lettres sont du même style, il n’est pas possible de s’y méprendre ; et il n’y a personne qui ne convienne qu’elles sont de Leibnitz. Ainsi le sieur Moreau de Maupertuis a été convaincu, à la face de l’Europe savante, non-seulement de plagiat et d’erreur, mais d’avoir abusé de sa place pour ôter la liberté aux gens de lettres, et pour persécuter un honnête homme qui n’avait d’autres crimes que de n’être pas de son avis. Plusieurs membres de l’Académie de Berlin ont protesté contre une conduite si criante, et quitteraient l’académie que le sieur Maupertuis tyrannise et déshonore s’ils ne craignaient de déplaire au roi qui en est le protecteur.


2433. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
Potsdam, le 23 septembre.

Monsieur l’envoyé de Suède m’a dit, madame, que vous vous souvenez toujours de moi avec une bonté qui ne s’est pas démentie. Nous avons fait, au petit couvert du roi de la terre qui a le plus d’esprit, un souper où il ne manquait que vous. Il veut se charger des regrets que j’ai d’avoir perdu une société telle que la vôtre, et de vous envoyer ma lettre.

Vous avez diminué mon envie de faire un tour à Paris, lorsque vous l’avez abandonné[1] ; mais j’espère toujours vous y retrouver quelque jour. La retraite a ses charmes, mais Paris a aussi les siens.

Il vous parait étonnant peut-être que je me vante d’être dans la retraite, quand je suis à la cour d’un grand roi ; mais, madame, il ne faut pas s’imaginer que j’arrive le matin à une toilette avec une perruque poudrée à blanc, que j’aille à la messe en cérémonie, que de là j’assiste à un dîner, que je fasse mettre dans les gazettes que j’ai les grandes entrées, et qu’après dîner je compose des cantiques et des romances.

  1. Mme du Deffant était alors en Bourgogne, dans un château où elle fit connaissance avec Mme de L’Espinasse, qui l’accompagna à Paris en 1754, lorsqu’elles s’établirent ensemble dans la communauté de Saint-Joseph.