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Bonsoir, monsieur ; je vous aime comme les autres font, mais je vous aime encore à cause de mon siècle. Les siècles produisent en abondance des tyrans tels que les Caligula, les Néron, etc., mais bien rarement des citoyens tels que vous. Conservez-moi vos bontés, qui font le bien de ma vie.

Je vous recommande mon enfant ; Catilina, le traître, est le seul pour lequel je sente mes entrailles s’attendrir.


1993. — À MADAME LA DUCHESSE DU MAINE[1]i.
Lunéville, ce 14 août.

Madame, Votre Altesse sérénissime est obéie, non pas aussi bien, mais du moins aussi promptement qu’elle mérite de l’être. Vous mavez ordonné Catilina, et il est fait. La petite-fille du grand Condé, la conservatrice du bon goût et du bon sens, avait raison d’être indignée de voir la farce monstrueuse du Catilina de Crébillon trouver des approbateurs. Jamais Rome n’avait été plus avilie, et jamais Paris plus ridicule. Votre belle âme voulait venger l’honneur de la France ; mais j’ai bien peur qu’elle n’ait remis sa vengeance en indignes mains. Je ne réponds, madame, que de mon zèle : il a été peut-être trop prompt. Je me suis tellement rempli l’esprit de la lecture de Cicéron, de Salluste, et de Plutarque, et mon cœur s’est si fort échauffé par le désir de vous plaire, que j’ai fait la pièce en huit jours. Vous aurez la bonté, madame, d’y compter aussi huit nuits. Enfin l’ouvrage est achevé ; je suis épouvanté de cet effort ; il n’est pas croyable, mais il a été fait pour Mme la duchesse du Maine.

Mme du Châtelet, à qui j’apportais un acte tous les deux jours, était aussi étonnée que moi. Il y a ici trois ou quatre personnes qui ont le goût très-cultivé, et même très-difficile ; qui ne veulent point que l’amour avilisse un sujet si terrible ; qui me croiraient perdu si la galanterie de Racine venait affaiblir entre mes mains la vraie tragédie, qu’il n’a connue que dans Athalie ; qui me croiraient perdu encore si je tombais dans les déclamations de Corneille ; qui veulent une action continue, toujours vive, toujours intriguée, toujours terrible ; un tableau fidèle et agissant de Rome entière ; Cicéron dans sa grandeur. César dans l’aurore de la sienne, et déjà au-dessus des autres hommes ; les Catilinaires en action, la vérité fidèlement observée, et, pour toute fiction, Cati-

  1. Née en 1676, morte le 23 janvier 1753 ; voyez tome V, page 79 ; et XXXIII, 176.