Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/54

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Il faut être Français et posséder vos talents pour manier votre lyre. Je corrige, j’efface, je lime mes mauvais ouvrages pour les purifier de quantité de fautes dont ils sont remplis. On dit que les joueurs de luth accordent leur instrument la moitié de leur vie, et en touchent l’autre. Je passe la mienne à écrire, et surtout à effacer. Depuis que j’entrevois quelque certitude à votre voyage, je redouble de sévérité sur moi-même.

Soyez sûr que je vous attends avec impatience, charmé de trouver un Virgile qui veut bien me servir de Quintilien. Lucine est bien oiseuse, à mon gré ; je voudrais que Mme du Chàtelet se dépêchât, et vous aussi. Vous pensez ne faire qu’un saut du baptême de Cirey à la messe de notre nouvelle église. La charité est éteinte dans le cœur des chrétiens, les collectes n’ont pu fournir de quoi couvrir cette église ; et, à moins que de vouloir entendre la messe en plein vent, il n’y a pas moyen de l’y dire.

Marquez-moi, je vous prie, la route que vous tiendrez, et dans quel temps vous serez sur mes frontières, afin que vous trouviez des chevaux[1]. Je sais bien que Pégase vous porte, mais il ne connaît que le chemin de l’immortalité. Je vous la souhaite le plus tard possible, en vous assurant que vous ne serez pas reçu avec moins d’empressement que vous n’êtes attendu avec impatience.

Fédéric.

1995. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Lunéville, le 16 août.

Cet ordinaire doit apporter à mes divins anges une cargaison des deux premiers actes de Catilina. Mais pourquoi intituler l’ouvrage Catilina ? C’est Cicéron qui est le héros ; c’est lui dont j’ai voulu venger la gloire, lui qui m’a inspiré, que j’ai tâché d’imiter, et qui occupe tout le cinquième acte. Je vous en prie, intitulons la pièce Cicèron et Catilina.

Voilà une plaisante guerre qui va s’allumer ! J’aurai pour moi tous les collèges. Je devrais avoir tous ceux qui aiment les grands hommes ; Cicéron l’était.

Je vous demande en grâce de lire le premier acte au président Hénault. Voilà le cas où il faut des amis. Il y a longtemps que je vous traite de conjurés ; mettez-vous tous de la conspiration. Cette aventure est plus guerre civile que Sémiramis. Courage, coadjuteur[2] ! Aux armes, monsieur de Choiseul[3] ! Animez-vous, monsieur de Pont-de-Veyle ! Soyez tous de vrais Romains ; battez les barbares.

  1. Faute de chevaux. Voltaire fut obligé de rester quinze jours à Clèves, en juillet 1750, quand il alla à Berlin.
  2. L’abbé de Chauvelin.
  3. Le comte de Choiseul, créé duc de Praslin en novembre 1762.