Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/56

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de voir votre Lutrin[1], ou votre Batrachomyomachie homérique sur M. de Valori.


Mais un ministre d’importance,
Envoyé du roi très-chrétien,
Et sa bedaine, et sa prestance,
Le courage du Prussien,
La fuite de l’Autrichien,
Que votre active vigilance
À cinq fois battu comme un chien ;
Tout ce grand fracas héroïque,
Vos aventures, vos combats.
Ont un air un peu plus épique
Que les grenouilles et les rats
Chantés par ce poëte unique,
Qu’on admire et qu’on ne lit pas.

Votre Majesté, en me parlant des maréchaux de Belle-Isle et de Saxe, dit qu’il faut que chacun fasse son métier ; vraiment, sire, vous en parlez bien à votre aise, vous qui faites tant de métiers à la fois, celui de conquérant, de politique, de législateur, et, qui pis est, le mien, qu’assurément vous faites le plus agréablement du monde. Vous m’avez remis sur les voies de ce métier, que j’avais abandonné. J’ai l’honneur de joindre ici un petit essai d’une nouvelle tragédie de Catilina ; en voici le premier acte ; peut-être a-t-il été fait trop vite. J’ai fait en huit jours ce que Crébillon avait mis vingt-huit ans à achever ; je ne me croyais pas capable d’une si épouvantable diligence ; mais j’étais ici sans mes livres. Je me souvenais de ce que Votre Majesté m’avait écrit sur le Catilina de mon confrère ; elle avait trouvé mauvais, avec raison, que l’histoire romaine y fût entièrement corrompue[2] ; elle trouvait qu’on avait fait jouer à Catilina le rôle d’un bandit extravagant, et à Cicéron celui d’un imbécile. Je me suis souvenu de vos critiques très-justes ; vos bontés polies pour mon vieux confrère ne vous avaient pas empêché d’être un peu indigné qu’on eût fait un tableau si peu ressemblant de la république romaine. J’ai voulu esquisser la peinture que vous désiriez ; c’est vous qui m’avez fait travailler ; jugez ce premier acte : c’est le seul que je puisse actuellement avoir l’honneur d’envoyer à Votre Majesté ; les autres sont encore barbouillés. Voyez si j’ai

  1. Le Palladion, voyez la lettre 1947.
  2. Voyez tome XXXVI, page 573.