Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/222

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en Suisse sur un coteau méridional. Cependant, si la nature y consent, je te permettrai d’aller en Thuringe. »

Voilà, madame, la réponse de mes deux oracles. On m’a condamné malgré moi à aller à la fin à Plombières, et j’y vais au mois de juin. Ma pauvre nièce, encore malade de la manière galante dont elle a été reçue à Francfort, vient me trouver aux eaux. Après cela, madame, j’espère que la fortune me permettra le petit voyage pour lequel je lui ai présenté requête.

La lettre dont Votre Altesse sérénissime veut savoir le contenu[1] dit qu’on a conservé et qu’on n’a donné a personne le manuscrit concernant l’Histoire universelle ; qu’on ne me fera aucune infidélité, qu’on ne parle point mal de moi, qu’on croit que je ne gâterai jamais rien dans les sociétés où je me trouverai. On me dit des choses flatteuses, et en même temps on écrit à d’autres des choses piquantes sur mon compte. Il y a longtemps que je sais à quel point vont les contradictions de ce monde. Le cœur seul me conduit, madame ; il me ferait voler chez la descendante d’Hercule ; mais il ne me fera jamais marcher vers le descendant d’Ulysse.

Le chevalier de Massol est le fils d’un avocat général de la chambre des comptes de Paris. C’est une famille que je connais ; mais pour lui, je ne le connais point du tout. Si d’Arnaud s’est formé à la cour de Dresde[2], il peut devenir homme de mérite. Mais des vers français médiocres ne donnent ni réputation ni fortune, et c’est un bien mauvais métier.

On fait actuellement à Colmar une singulière expérience ; je ne sais si je n’en ai pas parlé à Votre Altesse sérénissime dans ma dernière lettre. Il s’agit de convertir le sel en salpêtre pour faire de la poudre à canon et pour tuer les hommes à meilleur marché ; on a déjà parlé de ce secret dans les gazettes. Mais il faut que ce bon marché ne soit pas si réel ; en ce cas, le roi de Prusse l’aurait. Ceux qui prétendent avoir ce grand art veulent le vendre au roi de France des sommes immenses. Il y a trois mois qu’on y travaille à Colmar. Si on y réussit, je croirai à la pierre philosophale.

La grande maîtresse des cœurs ne veut donc point de l’épithète de femme forte ? Elle a pourtant l’esprit très-fort, et son âme a des yeux de lynx, si son corps en a de taupe. Que je voudrais être encore entre la descendante d’Hercule et la grande

  1. La lettre de Frédéric II, n° 2718.
  2. Où il était conseiller d’ambassade.