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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/29

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2550. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.

Sire, ce que j’ai vu dans les gazettes est-il croyable ? On abuse du nom de Votre Majesté pour empoisonner les derniers jours d’une vie que je vous ai consacrée. Quoi ! on m’accuse d’avoir avancé que Kœnig écrivait contre vos ouvrages ! Ah ! sire, il en est aussi incapable que moi. Votre Majesté sait ce que je lui en ai écrit. Je vous ai toujours dit la vérité, et je vous la dirai jusqu’au dernier moment de ma vie. Je suis au désespoir de n’être point allé à Baireuth ; une partie de ma famille, qui va m’attendre aux eaux, me force d’aller chercher une guérison que vos bontés seules pourraient me donner. Je vous serai toujours tendrement dévoué, quelque chose que vous fassiez. Je ne vous ai jamais manqué, je ne vous manquerai jamais. Je reviendrai à vos pieds au mois d’octobre ; et si la malheureuse aventure de La Beaumelle n’est pas vraie ; si Maupertuis, en effet, n’a pas trahi le secret de vos soupers, et ne m’a point calomnié pour exciter La Beaumelle contre moi ; s’il n’a pas été, par sa haine, l’auteur de mes malheurs, j’avouerai que j’ai été trompé, et je lui demanderai pardon devant Votre Majesté et devant le public. Je m’en ferai une vraie gloire. Mais si la lettre de La Beaumelle est vraie, si les faits sont constatés, si je n’ai pris d’ailleurs le parti de Kœnig qu’avec toute l’Europe littéraire, voyez, sire, ce que les philosophes Marc-Aurèle et Julien auraient fait en pareil cas. Nous sommes tous vos serviteurs, et vous auriez pu d’un mot tout concilier. Vous êtes fait pour être notre juge, et non notre adversaire. Votre plume respectable eût été dignement employée à nous ordonner de tout oublier ; mon cœur vous répond que j’aurais obéi. Sire, ce cœur est encore à vous ; vous savez que l’enthousiasme m’avait amené à vos pieds. Il m’y ramènera. Quand j’ai conjuré Votre Majesté de ne plus m’attacher à elle par des pensions, elle sait bien que c’était uniquement préférer votre personne à vos bienfaits. Vous m’avez ordonné de les recevoir, ces bienfaits, mais jamais je ne vous serai attaché que pour vous-même ; et je vous jure encore, entre les mains de Son Altesse royale Mme la margrave de Baireuth, par qui je prends la liberté de faire passer ma lettre, que je vous garderai jusqu’au tombeau les sentiments qui m’amenèrent à vos pieds, lorsque je quittai pour vous tout ce que j’avais de plus cher, et que vous daignâtes me jurer une amitié éternelle.