Je suis comme tous vos sujets,
Je vous respecte et vous adore.
Madame, ma figure souffrante et ambulante est à Vabern, près de Cassel, chez monseigneur le landgrave, et mon âme est à Gotha : elle est à vos pieds ; elle y sera tant que je respirerai. J’ai bien peur que Vos Altesses sérénissimes ne m’aient rendu malheureux pour le reste de ma vie ; je leur pardonne de tout mon cœur. Ce n’est pas mauvaise intention de leur part ; mais, en vérité, elles devaient songer, en me comblant de tant de bontés, en me faisant mener une vie si délicieuse, qu’elles me préparaient d’éternels regrets.
Où pourrais-je vivre dorénavant, madame, après avoir passé un mois entier à vos pieds ? Croyez-vous qu’en quittant votre palais, le séjour de Plombières me sera bien agréable ? Ce serait des eaux du Léthé qu’il me faudrait. Je prévois, madame, que je n’aurai autre chose à faire qu’à revenir faire ma cour à Vos Altesses sérénissimes. J’ai été dans le temple des grâces, de la raison, de l’esprit, de la bienfaisance et de la paix ; je retournerai dans ce temple ; il n’y aura pas moyen d’aller vivre avec des profanes.
Je me mets aux pieds de monseigneur le duc, et de toute votre auguste famille. Quand pourrai-je revoir ce que j’ai vu, et entendre encore ce que j’ai entendu ? Je pars pour Plombières cependant, madame ; j’obéis aux deux plus terribles médecins que je connaisse, et j’aurai l’honneur de renouveler à Vos Altesses sérénissimes les témoignages d’un respect, d’un attachement et d’une reconnaissance qui ne finiront qu’avec la vie de V. à qui le papier manque.
Grande maîtresse de Gotha,
Et des cœurs plus grande maîtresse,
Quand mon étoile me porta
Dans votre cour enchanteresse,
Un trop grand bonheur me flatta ;
- ↑ Julienne-Françoise de Buchwald, née le 7 octobre 1707, morte le 19 décembre 1789. F.-G. Gotter a publié : Zum Andenken der Frau von Buchwald, 1790, in-8°. C’est là que j’ai pris cette lettre. (B.)